Pluri(elles) au Merlan et à la Friche la Belle de Mai
Singulières et Pluri(elles)
Poursuivant son projet artistique de (re)valoriser le corps via plusieurs prismes, le Merlan décide de laisser la part belle aux femmes avec sa manifestation Pluri(elles).
Grâce à la danse, cet art si féminin qui fait du corps une langue, six artistes chorégraphes — cinq femmes et un homme — nous parlent tour à tour d’elles, simplement, dans leurs singularités, sans s’ériger comme porte-parole de la condition féminine, mais plutôt pour évoquer ce qui les traverse.
Ainsi, le cycle a débuté avec Alain Buffard, seul représentant de la gent masculine de la programmation, qui met en scène deux icônes de la danse contemporaine, Claudia Triozzi et Vera Mantero, dans une comédie musicale convoquant les figures mythiques de la femme fatale, à travers chansons et rôles décalés ((Not) a love song, cf. ci-dessous).
Film d’art et documentaire à la fois, My lunch with Anna fait se rencontrer le chorégraphe et Anna Halprin, grande dame de la narration scénique contemporaine, connue pour avoir introduit le geste ordinaire (« task », ou tâche) dans l’écriture chorégraphique, débarrassant ainsi le mouvement de préoccupations stylistiques, stéréotypées et/ou esthétisantes. Enfin, une dernière pièce a clôturé le triptyque proposé par le chorégraphe de la compagnie PI:ES, Les Inconsolés, où le désir inavoué et masqué de trois hommes dévoile un jeu de tensions et de troubles érotiques, propre à l’ambiguïté amoureuse.
La programmation reprendra en mars, alternant spectacles, festivités, et ateliers de pratique.
Généré paradoxalement par le vide et l’absence de l’être aimé, le solo de la jeune chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré (Un espace vide : moi) ouvrira la soirée consacrée aux femmes d’Afrique, qui se poursuivra avec les Correspondances entretenues et chorégraphiées par l’Haïtienne Kettly Noël (qui s’est installée au Mali) et Nelisiwe Xaba, d’Afrique du Sud. Réunies enfin sur un plateau après de longs échanges épistolaires, elles s’amusent — avec humour et impertinence — du quotidien, de leur quotidien de femmes, qui aiment, qui se vengent, qui se passionnent.
Dans une autre soirée concoctée par le Merlan en vagabondage à la Friche, on aura l’occasion de revoir en solo la chorégraphe Nelisiwe Xaba (notamment interprète de Vera Montero et de Robyn Orlin), qui s’attaquera dans Platicization à la « stérilisation » de nos vies empaquetées, où le plastique devient le super-héros de nos quotidiens. Ainsi que de (re)voir Errance, solo de Kettly Noël déjà accueilli précédemment par le Merlan sur son événement « Marseille Afrique » en 2006. Toute en torsions et en contorsions, en suspension et en retenue, la jeune femme se livrera, le temps de donner à voir des petits bouts d’histoires, « des traces de vie » (cf. ci-dessous).
Enfin, dans une transe proche à la fois du mystique et du désir, Nacera Belaza, musulmane d’origine algérienne, mettra en corps le rapport paradoxal entre sa foi et la danse, conçue par sa religion comme un divertissement, mais vécue par la chorégraphe comme véritable quête de soi (Le Cri, cf. ci-dessous). La volcanique chorégraphe islandaise Erna Omarsdottir, ancienne interprète de Jan Fabre, transformée en Talking Tree, mettra quant à elle en scène et en musique des personnages grotesques et monstrueux, tout droit sortis de son imaginaire pour nous conter la haine, la cupidité, les passions qui nous font mourir et renaître (cf. ci-dessous).
Le festival aura aussi une part festive, en accueillant une « Pluri(elles) Party » au Cabaret Aléatoire, mettant en « Vedettes » les alter ego féminins de Philippe Katerine, et des djettes, aux platines.
L’événement livrera donc une programmation éclectique, riche en mouvements du corps et de l’âme, riche de vies, faisant honneur à son nom. Des paroles de femmes, tour à tour inspiratrices, mythiques, anges et démons, femmes réelles ou qui se rêvent.
Joanna Selvidès
Pluri(elles) : jusqu’au 15/03 au Merlan et à la Friche la Belle de Mai. Rens. 04 91 11 19 20 / www.merlan.org
3 questions à… Sara Vidal
Octobre 2006 : Kettly Noël bouscule les spectateurs de la Friche avec son solo Errance. Particulièrement touchée par la performance de l’Haïtienne, l’écrivain Sara Vidal en a puisé l’inspiration de son prochain ouvrage.
Ecriviez-vous avant de voir cette performance ou a-t-elle agi comme une « révélation » ?
J’écris et publie depuis une dizaine d’années. Donc c’est un peu une « déformation » professionnelle que d’être touchée, intriguée, irritée ou fascinée par une situation, une image, et que cela donne le déclic à un processus d’écriture. C’est comme ça que ça a fonctionné quand j’ai vu le solo de Kettly Noël.
Que vous a inspiré au juste la performance de Kettly Noël ?
C’était un solo totalement différent de tout ce que j’avais vu en danse et pour moi, il exprimait un parcours, une révolte, une souffrance, une formidable colère dont j’ai essayé d’inventer le cheminement en le croisant bien sûr avec des thèmes d’inspiration qui me sont propres.
Comment définiriez-vous votre livre ? Quelles sont les résonances avec Errance ?
Rue du Théâtre Français est une sorte de radiographie de cette petite rue singulière de Marseille où se croisent et ne se rencontrent pas des personnages à la fois fictionnels et observés. Mais je savais que je voulais terminer ce roman par le solo de Kettly sur la place publique et j’ai donc inventé une Kettly parmi tous mes autres personnages, qui porte sa révolte et sa souffrance jusqu’à la catharsis de l’acte artistique. Donc j’ai travaillé « en dehors de Kettly », si l’on excepte la résonance et l’imaginaire que sa danse avait créés en moi. Je lui ai écrit et elle m’a dit se réjouir de me connaître moi et mon livre quand elle sera à Marseille début mars.
Propos recueillis par CC
Rue du Théâtre Français (Arpents-Riveneuve Editions) sortira début avril 2009.
Des exemplaires seront proposés sur la table de littérature d’Histoire de l’Œil au Théâtre du Merlan pendant la manifestation Pluri(elles).
LES INCONTOURNABLES
Alain Buffard – (Not) a love song
Comédie musicale contemporaine, (Not) a love song revisite les figures de la femme fatale qui ont traversé nos vies par l’intermédiaire d’un écran ou d’un vinyle. Alors, de l’autre côté des miroirs, quoi ? Deux femmes, deux icônes délaissées — les formidables Claudia Triozzi et Vera Mantero — en robe couture et talons hauts, qui, rangées au vestiaire (sic), se lamentent en distordant leurs voix alanguies de l’oubli collectif dont elles sont victimes. Telles des mouches autour du miel, Vincent Segal — cofondateur de l’excellent duo Bumcello — et le fantasque Miguel Gutierrez s’affairent autour d’elles, les laissant maîtresses de ce naufrage désespéré, en pleins feux. Si les références cinématographiques et musicales abondent, si la volonté d’éclater les codes de la dramaturgie est bien visible, on peut se demander si la démarche — quoique judicieusement décalée — n’est pas encore par trop esthétisante. Jusqu’à perdre le spectateur, qui s’ennuie parfois, déjà largement perturbé par le trouble public jeté par l’interruption/reprise — opérée par les artistes eux-mêmes, en raison de ricanements moqueurs issus d’une fraction jeune du public. Le sentiment de fracture sociale n’a alors été que plus fort au retour de la lumière, quand l’équipe du Merlan, de façon inadéquate et spectaculaire, et à l’image d’un mauvais show médiatique, a cependant redonné la parole aux gêneurs…La controverse était (re)lancée, mais la vibration n’était vraiment pas celle d’une chanson d’amour…
_ (Not) a love song était présenté le 21/02 au Merlan.
Prochaines représentations : du 26 au 28/03 au Pavillon Noir (Aix-en-Pce)
Kettly Noël – Errance
Le Merlan offre un nouveau coup de projecteur sur l’Afrique, avec la programmation de trois chorégraphes du continent noir. Mais le solo Errance de Kettly Noël, qui fait l’objet d’une re-programmation — la pièce avait été jouée dans le cadre de Marseille-Afrique en 2006 — est signifiant : déconseillée aux moins de seize ans, la pièce veut placer volontairement le spectateur en situation d’inconfort, pour faire corps avec la souffrance mise à nue par la danseuse. Sur la musique concrète d’Ivo Malek, l’Haïtienne cherche à vivre dans sa chair le mal-être de ces femmes africaines que le monde réduit à des stéréotypes. Installée à Bamako au Mali pour entre autres y créer un festival de danse contemporaine (Dense Bamako Danse) et former de jeunes enfants de la rue (ce dont parle Chez Rosette, sa dernière création), la chorégraphe brise les codes traditionnels, les incorpore dans une gestuelle tremblante, secouée, et parfois suspendue au temps. Devenue la figure de proue de la danse africaine contemporaine, Kettly Noël livre ici une pièce forte, bouleversante, folle.
_Errance et Plasticization (de Nelisiwe Xaba) : les 9 & 12/03 au Merlan
Nacera Belaza – Le Cri
Dans une danse épurée où l’obscurité donne à voir, deux femmes vont accéder à une forme d’extase spirituelle. En silence, Nacera Belaza et sa sœur Dalila crient. Rappelant la tradition des derviches tourneurs, qui cherchent l’alliance avec Dieu via une danse spiralée et verticale, elles essaient de s’unir au divin. Purifiés, les deux corps se libèrent peu à peu dans une danse hypnotique sur les voix mêlées du chanteur Larbi Bestam, de la Callas et d’Amy Winehouse… Salué par la critique, Le Cri nous emmène dans un rêve étrange, quasi mystique, empreint de désir et de sensualité.
Erna Omarsdottir – Talking Tree
C’est d’un tout autre bois que sera fait le Talking Tree d’Erna Omarsdottir. Si on avait pu voir les deux chorégraphes sur Dansem, il est assez étonnant de les voir réunies au cours d’une même soirée, l’une toute en sobriété, l’autre explosant les codes et les déontologies. Certainement influencée par ses racines vikings et tourmentées, l’Islandaise, accompagnée par le musicien Lieven Dousselaere, contera en voix et en corps des histoires prophétiques, fourmillant d’images et grouillant de forces vitales.
_Talking Tree et Le Cri : les 14 et 15/03 à la Friche et au Merlan