Polémique autour des ateliers d’artistes de la ville de Marseille
Talents d’Achille
Depuis une vingtaine d’années, la ville de Marseille, dans le cadre de sa « politique culturelle de soutien à la jeune création », met des ateliers à la disposition d’artistes pour une durée de deux ans contre un loyer modique (1,80 €/m²). En plus de l’atelier, la ville a chargé en 2017 l’association Triangle France-Astérides d’un « accompagnement aux artistes résidents (…) afin de développer leurs compétences critiques, techniques et professionnelles. » A priori une bonne idée. Sauf que…
La sélection 2018-2020 vient d’être rendue publique : sur les 135 candidatures reçues à la Direction des Arts Plastiques de la municipalité, quatorze candidats ont été retenus par un jury dont la composition n’a pas été divulguée. Il se trouve que dix de ces quatorze « talents prometteurs » ont été résidents de Triangle-Astérides (dont neuf ces deux dernières années), ou l’étaient encore au moment du dépôt de dossier et de la sélection du jury. De plus, plusieurs de ces artistes ne semblent être domiciliés à Marseille que dans le communiqué de presse annonçant leur sélection, leurs sites internet ou ceux de leurs galeries donnant pour localisation Mexico, Berlin, Rotterdam, Adelaïde, Bruxelles ou encore Paris, bien que ces ateliers soient censés être occupés par des artistes habitant la ville.
Dès lors, il apparaît légitime de se poser un certain nombre de questions. Comment se fait-il que le processus de sélection, contrairement à ce qui se fait actuellement dans la quasi-totalité du monde de l’art contemporain, soit resté complètement opaque ? Si l’organisation de la Commission d’attribution des ateliers de la Ville, d’après le site des ateliers municipaux, relève bien de la prérogative de Triangle-Astérides, organiser une commission ne consiste pas a priori à attribuer les ateliers à ses résidents, anciens ou en cours. Pourquoi ce mystérieux jury (qui, au passage, n’a pas trouvé à son goût un seul artiste issu de l’École des beaux-arts de Marseille) a-t-il jugé bon de faire bénéficier d’un accompagnement professionnalisant et d’un loyer très modéré des artistes étant pour la plupart représentés par une ou plusieurs galeries en France ou à l’étrange, obtenu des prix prestigieux (Ricard, Swiss Art Award, Amis du Palais de Tokyo, etc.), voire qui enseignent en école d’art ? Ce qui revient, lorsqu’on connaît un peu la situation des jeunes artistes contemporains, à donner un HLM à un ministre. Alors que ce programme devait offrir aux artistes sélectionnés « une visibilité » et leur permettre « d’être prêts pour les étapes suivantes de leur carrière », il s’agit une fois encore de donner plus à ceux qui ont déjà beaucoup.
En somme, Triangle-Astérides s’offre ainsi une résidence XXL aux frais de la mairie qui, en contrepartie, espère se donner l’image d’une ville attirant des artistes « en vue » de toute l’Europe, et se prépare à Manifesta 2020. Cette opération de communication se fait évidemment aux dépends des jeunes artistes installés à Marseille qui se débrouillent, avec de petits moyens, pour maintenir et développer un art dans la cité.
Michelle Louise