Portrait : Catherine Marnas / Lignes de faille par la Cie Parnas
Un parcours sans faille
Après la création de Sallinger en début d’année, Catherine Marnas revient poser ses valises à Marseille pour y présenter — enfin — son adaptation de Lignes de faille de Nancy Huston. L’occasion de réinterroger la metteuse en scène sur cette pièce fleuve, mais aussi, plus largement, sur sa vision du théâtre et du monde.
Catherine Marnas a les yeux tirés. Et pour cause… Arrivée par le train de nuit à Marseille, elle s’installe dans la Librairie Maupetit, visiblement impatiente de commencer. Les deux petites heures de sommeil qu’elle a réussi à grapiller n’ont pas ébranlé son enthousiasme. Avec quatre comédiens de sa compagnie, tout aussi enjoués qu’elle, elle vient présenter Lignes de Faille, qui va bientôt se jouer pour la première fois à Marseille. Mais plus encore que l’adaptation du roman-fleuve de Nancy Huston, c’est le travail de la compagnie qui est ici mis en lumière. Un travail au long cours : trois années ont été nécessaires pour réduire près de cinq cents pages en quatre heures de représentation, sans toucher à un seul mot du texte. En riant, tous les cinq évoquent « les moments de grand malheur » et le « travail d’arabesques » qui ont rythmé cette période de création. Parfois, ils l’avouent volontiers, de violentes disputes ont éclaté, chacun ayant sa propre interprétation du récit.
Saga familiale mélangeant psychanalyse et histoire, Lignes de faille pousse les spectateurs comme les lecteurs dans leurs retranchements, face à leurs propres démons. Et pose, en filigrane, la question de savoir comment l’enfant que l’on a été influence l’adulte que l’on devient. « C’est à la fois drôle et terrible d’être un enfant. On subit le pouvoir des adultes, on ne comprend pas, et en même temps, on est heureux », constate Catherine Marnas.
Si la pièce aborde des sujets graves (secrets de famille, anorexie infantile) dans des contextes difficiles (de la guerre en Irak à la Seconde Guerre mondiale, en passant par le massacre de Sabra et Chatila), elle n’est d’ailleurs pas exempte d’humour — et puise d’ailleurs toute sa force dans cet équilibre.
Présentées à travers le regard d’enfants de six ans, les problématiques abordées prennent une toute autre dimension : celle de la simplicité des mots, des gestes, et surtout, celle de la réalité. Une réalité parfois abrupte, crue, qui fait écho à des souvenirs enfouis en chacun de nous.
L’enfance de Catherine Marnas, elle, remonte à la surface : « Cela fait écho absolu chez moi entre le plus petit intime et la grande Histoire. C’est quelque chose qui me passionne dans tout ce que je fais. » Le regard pétillant, la metteuse en scène se souvient notamment de ses débuts sur scène, à douze ans. Et avant cela, de ses premiers poèmes, écrits à l’âge de sept ans, et qui la destinaient, pensait-elle, à une carrière de professeur. La découverte du théâtre va se révéler déterminante. Et si elle s’aperçoit très vite que le jeu d’acteur ne lui correspond pas, la mise en scène, cette façon de « raconter des histoires avec le corps, le mouvement et les rythmes » la fascine. Après une thèse en sémiologie théâtrale, elle apprend le métier aux côtés du grand Antoine Vitez. L’admiration se lit sur son visage quand elle évoque son maître, qu’elle dépeint comme un amoureux de la transmission. Une générosité dont elle fait aujourd’hui son cheval de bataille.
Revendiquant un théâtre populaire et généreux, elle estime que la séparation communément admise entre théâtre de divertissement, vu comme plus « pauvre », et théâtre d’art, plus « austère », n’a pas lieu d’être: « La pensée, l’intelligence, c’est une véritable fête, un plaisir fou qu’il faut transmettre ! » D’où sa volonté de systématiquement intégrer une dimension festive à ses créations.
Poussant plus loin la réflexion, Catherine Marnas définit le théâtre comme « une porte ouverte
sur nos origines et notre fin, qui nous interroge notre relation au monde… Il nous pousse à nous poser des questions existentielles sur la vie et la mort. Mais la mort dans sa dimension impalpable, secrète et mystérieuse. »
Sonia Attias
Lignes de faille par la Cie Parnas : jusqu’au 10/03 à la Cartonnerie (Friche La Belle de Mai, 41 rue Jobin, 3e).
Rens. 04 95 04 95 95 / www.lafriche.org
Pour en savoir plus : www.parnas.fr