Portrait : Cowboys From Outerspace
Cowboys Noise
Les Cowboys From Outerspace sortent un nouvel album chez les copains de Lollipop, qui se réactive en tant que label. Deux bonnes nouvelles et une rencontre : Michel Basly, âme damnée du trio garage-rock, avec qui on a parlé chiffons.
Montre-moi ta collection de disques, je te dirai qui tu es. Ce soir, j’ai rendez-vous avec Michel Basly, le leader des Cowboys From Outerspace, pour parler de la sortie d’un septième album qui ne se faisait plus attendre. Depuis bientôt vingt ans, ce groupe demeure une exception française : il est l’un des plus solides dans son registre, vintage et nourri de culture « bis », mais n’a jamais connu une trajectoire à la mesure de son crédit et de ce que laissait miroiter à une époque un supposé retour du rock. Arrivé trop tard, ou trop tôt (ce qui revient au même), le trio a empilé les concerts et gagné sa légitimité dans les réseaux underground, puis n’a plus beaucoup donné de nouvelles après la fin des années 2000, au sortir d’un dernier album pourtant toujours aussi bon. Je me trouve donc chez Michel pour tenter d’en savoir un peu plus, et je commence naturellement à fouiner dans ses disques. Très vite, je tombe sur ce que je devinais : Gun Club, Birthday Party, Pussy Galore, Blues Explosion, Speedball Baby, Chrome Cranks… Tous les groupes alternatifs américains qui ont torpillé le blues originel depuis la césure punk sont là, religieusement nichés les uns à côté des autres. Il est important de les citer, vital même. C’est plus important que de dire, par exemple, que Michel n’est pas de Memphis mais de Marseille, qu’il prêche encore à son âge (classé secret défense) ou que sa chatte est en train de ronronner sur mon bas-ventre (sic). Parce que, tous ces groupes, contemporains de son parcours, définissent davantage ses vraies racines que son accent ne les trahit. Parce que, quand il se lance sur sa raison d’être, ce n’est plus l’homme qui parle, mais le teenager. Michel a inventé le rock’n’roll. Avec ce que cela comporte de second degré, alors levons le filtre : il l’a réinventé, comme d’autres avant lui et d’autres après lui, ce qui n’est déjà pas une mince affaire.
Illumination
Si tant est qu’il y en ait eu un, les premières écoutes d’Exile At The Rising House lèvent le doute : le temps n’a aucune emprise sur la musique des Cowboys. Ce qui veut dire que : 1/ rien ne ressemble plus à un album des Cowboys qu’un autre album des Cowboys, et 2/ bien malin celui qui pourrait dater ce disque sans avoir eu d’info au préalable… Les instruments utilisés, le traitement du son, le style ! Tout indique que les Cowboys continuent de regarder vers les formations suscitées, et bien sûr vers les pères fondateurs du Big Bang — Elvis, Bo Diddley, Chuck Berry, Carl Perkins… Avant cela Robert Johnson, après cela les Sonics… C’est une recherche sans fin, une boîte de Pandore qui recèle de danger, de passion, de vice et de folie. C’est une autre voie sans issue, mais elle est désirable, intrigante, indomptable… et elle se mérite, quitte à y consacrer une vie. Ou plutôt trois, puisqu’il y a aussi Basile (l’élégance faite bassiste), et désormais Matthias (batteur fraîchement arrivé, le disque ayant été enregistré en amont). En fait, l’objet du délit est prêt depuis fin 2013. Mais deux éléments de taille ont freiné sa sortie : le départ précipité d’Henri Costa, batteur historique du groupe, et la recherche d’un nouveau distributeur pour Lollipop Records. Car c’est l’autre bonne nouvelle induite par le come-back des Cowboys : l’album sort sur la structure discographique du fameux disquaire marseillais, et marque son grand retour en tant que label. Lollipop et les Cowboys ? Ça semble couler de source, mais les parties en présence n’avaient à ce jour travaillé ensemble que pour la sortie vinyle de Space-O-Phonic Aliens, le troisième album (consacré album du mois chez Rock&Folk en 2002). De fait, les Cowboys renouent aujourd’hui avec le format vinyl, qui magnifie le son et donne sa pleine mesure à l’objet (quelle pochette !)… et Lollipop Records reprend ses activités dans les meilleures conditions. A commencer par cet album, donc, enregistré comme les précédents au Kaiser Studio de l’énigmatique Lucas Trouble, quatrième membre des Cowboys à bien des égards. Ce producteur, à la tête du « cryptique » label Nova Express, possède un manoir en Bourgogne, dans lequel est situé son studio. C’est un personnage barré, une sorte de Phil Spector gothico-garage qui a pris sous son aile tout un tas de groupes aux pedigrees sauvages, dont les Cowboys. Pour eux, il produit, joue du clavier, compose à l’occasion, mais fait surtout office de grand gourou. Michel le connaît bien, lui fait confiance pour que ses chansons sonnent et, lorsqu’ils se retrouvent tous deux isolés une nouvelle fois dans la Demeure du Levant (le nom dudit manoir), ont l’illumination pour ce titre : Exile At The Rising House… « Exile » donc, rien à voir avec les Stones, plutôt un album de fétichistes nourris aux franges les plus déviantes de la mythologie.
Pelvis
La nuit est tombée, le pastis commence à faire son effet sur mon hôte, intarissable, je peux enfin passer à des questions moins factuelles. Il me raconte les Cramps, qu’il a vu en temps et en heure à Marseille, me parle un peu des ateliers Sud Side, où il travaille, évoque ce « cri primal » qui l’a poussé très jeune à choisir le camp adverse. Je lui demande : le rock peut-il encore évoluer, puisqu’il est progressiste à l’origine, ou se doit-il de rester fidèle à ses Tables de la Loi ? Michel embraye, il sait que l’histoire a déjà été écrite, il sait aussi que ça ne peut pas en rester là, hésite… Je lui demande : comment se fait-il qu’en ces périodes troubles, le rock ne puisse pas accoucher à nouveau de meneurs d’hommes, de porte-parole ? Il pointe une époque aseptisée, certes… mais il n’a pas les réponses. C’est normal : personne ne les a. Le rock en 2015, c’est un grand point d’interrogation. Avec une seule certitude : tant que l’esprit demeure, tant que des gens continueront de secouer du pelvis loin des circuits autorisés, engagés durablement dans leur rêve, il y aura des raisons d’y croire — ou à défaut de s’éclater un bon coup. Quiconque a déjà vu sur scène les Cowboys From Outerspace, vingt ans de passion et de métier, sait qu’il ne leur faut guère de temps pour attiser les enfers, voire même un petit culte. Sur ce, je rentre chez moi : j’ai rendez-vous avec Barbarella.
PLX
Cowboys From Outerspace : le 25/09 au Poste à Galène (103 rue Ferrari, 5e). Rens. www.leposteagalene.com
Dans les bacs : Exile At The Rising House (Lollipop Records/L’Autre Distribution).
Pour en savoir plus : www.cowboysfromouterspace.fr