Dahu et Fernand Fernandez © Yan Faure

Portrait : Dahu

Sur la bonne voix

 

Le temps d’une soirée d’hiver, les Demoiselles du Cinq, dans la lignée de leur programmation haut de gamme, nous font trois propositions atypiques : les Statonells (consultez nos archives), Dahu, trio expérimenté et insatiable, et Fernand Fernandez, artiste poète, performer et plasticien. Trait d’union entre ces deux derniers groupes, qui ne font souvent qu’un. Explications.

 

L’ensemble des artistes de cette soirée se rejoint sur cette volonté de recherche permanente, d’expérimentation, jusqu’au crissement, jusqu’à l’entêtement. Chacun ici fouille, racle et s’écartèle pour venir déposer en public des panoplies de sons, poétiques ou poisseux.
Fidèle à l’image de son emblématique créature légendaire, le groupe Dahu ne cesse d’arpenter en équilibre des chemins chaotiques. Issu d’un groupe plus « traditionnel », avec chanteur disons (Mina May), la formation réduite à trois instrumentistes rebondit sur cette amputation pour mieux se renouveler.
Dahu joue depuis quelques années sur ce vide, cette absence, à la fois de voix, mais aussi de catégorisation précise, pour multiplier les expériences, se déformer, s’adapter ou s’étirer. Se dessine en creux ce qui fera l’essence de la formation : un désir de se laisser nourrir par les autres. Quand, au début, on aurait été tenté de leur lancer un « Alors, il n’y a plus de voix ? », on découvre chemin faisant que tout ici fait voix : les textes apposés, les bruits rapportés, les bandes-son découpées. S’ensuivent des collaborations, musicales, théâtrales, littéraires….

Parmi les trois morceaux proposés dans leur Ep, on trouve ainsi Et dans l’élégante mélancolie du crépuscule nous parcourons le monde, titre addictif qui fait entendre des extraits de dialogues (coupés et remontés) des Feux de la rampe de Chaplin. Ou encore Orizabus Plurabelle, dont la composition relève de l’aventure : Antoni découvre, au fil de recherches sur la toile, un enregistrement de James Joyce, le fameux romancier et poète irlandais, datant de 1922. La longueur de ce dernier (quelques neuf minutes) correspond exactement à la longueur d’un morceau instrumental enregistré par le groupe quelques semaines auparavant. Mais il est inutilisable sous sa forme compressée. Le musicien obtient d’un des détenteurs du disque (via le site de référence Discogs) un enregistrement exploitable qu’il utilise dans ce morceau. La voix de Joyce, les roulements désuets de son accent peuvent alors venir se fondre dans les sons électro et le cycle du sillon. L’ensemble est troublant et poétique, flottant sans limite entre deux âges.
Le premier titre, Porneaugraphie extraterrestre à l’ancienne, est un des aboutissements multiples de la collaboration des musiciens avec Fernand Fernandez, ami et complice artistique. Chaque session de travail relève d’un aller-retour continu qui mène à une création furtive. Le texte de Fernand vient se poser sur une trame sonore qui n’a de cesse ensuite de se modifier, se modeler, pour mettre la parole en relief. Fernand, lui, se nourrit des boucles mélodiques, des rythmes poétiques ou mécaniques, pour donner à son flow une dimension incantatoire, tribale.
Il faut voir Fernand surgir, les pieds ancrés fort au sol, la gueule tendue, et s’imposer au milieu des musiciens pour déverser ses mots.
Plasticien, homme de « lard et de l’être », Fernand avoue rarement trouver mais chercher sans cesse. Porté par les mélodies envoûtantes de Dahu, le spectateur se trouve plongé dans l’interrogation lorsque Fernand débite. Textes rocailleux, allusions politiques, sexuelles…. Si l’on hésite un instant, c’est pour se laisser envahir ensuite par l’euphorie des mots qui s’entrechoquent et nous balancent du rire absurde à la conscience profonde. Le tout, porté par l’infinité des sons de Dahu, donne à l’ensemble une densité rare et une légèreté inattendue.
Retenons donc de cette soirée la générosité artistique de ces trois formules. Toutes trois débarrassées de toute autre ambition que la création d’une émotion profonde.

Fanny Bernard

 

Release Party Dahu : le 28/01 aux Demoiselles du Cinq (5 rue de l’Arc, 1er).
Rens. : 06 23 21 26 05 / www.facebook.com/LesDemoisellesDuCinq

Dans les bacs : EP maxi 45 tours Dahu/Fernand Fernandez (Pacinist)

Pour en (sa)voir plus : https://www.facebook.com/wearedahu