Portrait : Frrrançois Boy
Portrait de l’artiste aixois, qui signe avec Burlesque Girrrl son passage de l’illustration à la bande dessinée.
François Amoretti a trente-huit ans. Un âge qui lui permet de se connaître et de prendre du recul face aux épreuves que doivent affronter ceux qui, comme lui, ont décidé de vivre de leur passion. Il l’avoue volontiers : exister à travers son art lui prend ses journées, soirs et week-ends, l’a privé de vacances ces sept dernières années et lui vaut de tenir en apnée pendant des mois, entre deux créations, dans l’attente d’un nouveau contrat. Une situation complexe, surtout quand on est père de deux enfants, presque un sacerdoce.
Il se consacre aujourd’hui uniquement à l’illustration, mais son chemin aura mis du temps à se tracer. S’il dessine depuis son plus jeune âge — « depuis [qu’il est] capable de tenir un crayon » –, François aura en effet attendu ses vingt-et-un ans pour s’inscrire aux cours d’arts graphiques de l’Académie de Pienninghen (Paris) et aura écumé les bancs de moult universités : droit pénal et criminologie dans un premier temps, pharmacie à mi-temps par la suite. Autant de trajectoires pour tenter de rassurer ses parents en optant pour une profession jugée plus sûre, avant de prendre conscience que « quitte à être pauvre, autant l’être en faisant un travail qu’on aime. » Sa détermination aura eu raison des dernières réticences parentales.
TOKYO YORK
Flashback. A l’âge de quinze ans, François part en voyage linguistique aux Etats-Unis et s’y fait instantanément deux amis, avec qui il partage les mêmes goûts pour la musique, le cinéma et les comics. Ce choc émotionnel le poussera à cumuler les petits boulots pour y retourner chaque année, jusqu’à ses vingt-quatre ans. Il est une source pour son amour de la culture rockabilly dans laquelle il baigne quotidiennement et qu’il vient de mettre en images et en mots dans son Burlesque Girrrl. Un univers dont il ne peut se départir, malgré quelques infidélités japonaises. Car le personnage est aussi complexe que ses coups de foudre sont nombreux : l’un d’eux le poussera même à quitter la France pour s’installer au Japon de 1999 à 2003. Il s’enrichit culturellement de cette contrée des extrêmes dont il aime l’architecture et les estampes, et dont les habitants sont « capables du meilleur comme du pire. » Il a la chance de se faire proposer immédiatement une illustration hebdomadaire dans le magazine Tokyo Classified, tout en donnant des cours de français afin d’assurer son quotidien. Il y fait même quelques expos, et ce séjour lui laissera des traces indélébiles dont il essaie de se défaire quelque peu actuellement, notamment dans son dessin : par le fait de vider les yeux de ses personnages, en retirant les iris au profit d’un point noir, il esquisse un mouvement de distanciation avec le manga. Notre homme prend également ses distances avec le mouvement Lolita, dans lequel il aura été très actif, et s’avère désormais assez critique envers une société où la femme ne jouit pas de la meilleure des considérations. Car Amoretti-san est un féministe revendiqué.
LE DERNIER GENTLEMAN ?
Son domaine de prédilection reste l’onirisme et les histoires de filles, protagonistes centraux des livres qu’il a illustrés par le passé : Gothic Lolita, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles et Le Petit Chaperon rouge et ce qu’il advint dans le ventre du loup. Il concède d’ailleurs qu’il ne pourrait « envisager une histoire sans une fille incarnant le personnage principal. » Quand on l’interroge sur l’importance des femmes dans sa vie, il s’insurge de l’image qu’on peut parfois leur coller, des comportements inadmissibles et révoltants adoptés par certains au quotidien ; notamment lorsque les victimes d’actes sexistes et/ou sexuels sont accusées d’avoir fait preuve de provocation. François conçoit son rapport au sexe opposé dans le respect, l’admiration et la compréhension. Il se pose ouvertement en allié et avoue s’identifier au personnage de Violette, l’héroïne de Burlesque Girrrl, image parfaite de la femme qu’il souhaiterait être. Un rapport intime le lie à ses héroïnes et, plus généralement, aux filles « qui s’assument, qui dépassent leurs inquiétudes, des nanas incroyables ! »
PREMIERE FOIS
Burlesque Girrrl, donc. Sa première bande dessinée, format le plus adapté pour matérialiser les propos de celui qui revendique pour influence majeure des illustrateurs (John Tenniel et Arthur Rackham en tête) et ne saurait vivre sans musique. Une œuvre « terriblement personnelle, un peu autobiographique et un peu thérapeutique » dans laquelle il véhicule sa foi en notre capacité à atteindre nos rêves par la confiance et le dépassement. Une histoire « faite avec son cœur et son âme » qu’il a voulue colorée et agréable à lire, et qui lui semble illustrer ses idées de manière graphique : du burlesque au pin-up en passant par le rockabilly et les hot-rods, tout ce qu’il aime — et le caractérise — est au programme.
Si sa création a fini par voir le jour, les choses paraissaient pourtant bien mal engagées. François s’avoue volontiers rêveur, et même si son esprit « travaille » en permanence, il se reproche d’être lent à coucher ses idées sur papier, certains dessins prenant des mois ou des années à voir le jour. Il faut dire que l’artiste ne possède pas les mêmes influences et la même formation que la plupart des dessinateurs de bande dessinée, une discipline très codifiée. Il travaille à la plume, aime la gravure — qui donne un aspect gothique à ses créations — et se sent de ce fait en marge des auteurs de BD, évoluant pour sa part dans un milieu (l’illustration) qui permet plus de liberté. De fait, son style s’avère moins assuré que chez les bédéistes de métier et son premier projet dans le genre, en 2007, essuiera un refus. Néanmoins, son premier album finira par se matérialiser, grâce au soutien et aux conseils de ses amis et de ses collègues du studio Gottferdom (Aix-en-Provence), qu’il n’hésite pas à qualifier de « marraines et parrains ».
En attendant le second volume de Burlesque Girrrl, et dans l’espoir de le voir concrétiser tous les scénarios qu’il a griffonnés au fil des années, laissons à François le soin de conclure, avec la passion qui le caractérise : « Mon unique plan de carrière est de continuer à dessiner, à raconter des histoires. Je suis heureux comme ça ! J’aime ce que je fais, mon éditeur m’aime, que vouloir de plus ? Continuer à faire ce que je fais, ce serait merveilleux. »
Sébastien Valencia
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François Amoretti : Burlesque Girrrl (Ankama éditions)
Violette joue dans un groupe de rock, Grrrl, avec son mec et ses potes. Ils écument les rades en espérant un contrat juteux, essaient tant bien que mal de vivre de leur musique et, pour boucler le budget, la demoiselle exploite ses formes généreuses en exerçant l’activité de pin-up. Sa plastique et ses notions de danse l’entraîneront sur les planches, dans le rôle d’une effeuilleuse burlesque… quand le destin de son groupe se verra lui aussi chamboulé. Telle est la trame de cette histoire haute en couleurs baignant dans une culture rockabilly délicieusement retranscrite, aux protagonistes sans concession pour leur art malgré le doute et les épreuves. Entre rage, ambition, sensualité et huile de coude, on s’attache rapidement aux personnages et à l’univers de cet album.
SV