Identités Remarquables | Hadrien Bels
Le haut du Panier
Cinq dans tes yeux, c’est une expression « pour te protéger du mauvais œil de l’autre et même de celui que tu pouvais te jeter à toi-même. » Ce sont aussi les cinq doigts de la main, les potes d’enfance du Panier, objets d’amour de ce premier roman d’Hadrien Bels, Marseillais et fier de l’être.
C’est dans le quartier des Réformés que l’on retrouve Hadrien Bels. En nous y rendant, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit là d’un quartier de « Venants », terme inventé qui risque de rentrer dans le répertoire lexical de tout Marseillais ayant lu ce roman, sur les étals depuis moins d’un mois. L’auteur explique avoir emprunté le terme à son épouse sénégalaise, qui l’utilisait pour désigner toute personne venant d’ailleurs que Pikine, banlieue de Dakar. Par extension, le terme englobe les acteurs de la gentrification, les touristes, ces « gens qui arrivent quand tout est prêt ». Car c’est bien l’un des sujets principaux du premier roman de l’écrivain de 41 ans : comment Marseille peut-elle réussir à garder sa si belle identité originelle ? Les Venants — qu’on aurait envie de traduire par « bobos », mais Hadrien souligne que ce terme n’a plus trop de sens aujourd’hui — ne sont-ils pas en train de ternir l’image de la lumineuse Marseille ? Marseille à qui Hadrien Bels fait une déclaration d’amour un brin nostalgique tout au long de son récit. Un quasi personnage féminin qu’il n’a que brièvement quitté pour étudier un peu à Montpellier ou pour des projets vidéo en Afrique.
C’est grâce à la vidéo qu’Hadrien gagne sa vie dans la cité phocéenne (clips, films de mariages, etc.), mais il ne cache pas qu’il vibre davantage quand elle devient un projet plus personnel et plus engagé. C’est dans cet objectif qu’il s’est rendu à Tanger, où il a monté une vidéo sur une personne vivant dans un club de vacances désaffecté, se trouvant là après avoir vécu en France d’où elle a été expulsée. Et c’est dans cette même ville que l’écriture l’a rattrapé : il participe à deux ateliers orchestrés par Sylvie Gracia et il y compose des scènes sur le Panier de son enfance, celui des années 90. Celle qui est alors éditrice des collections de La Brune aux éditions du Rouergue l’encourage à continuer à écrire sur les thèmes déjà abordés. Quand le roman est prêt, elle change de maison pour les éditions de l’Iconoclaste et propose le livre, qui est finalement publié le 19 août. Et qui ne passe pas inaperçu : sélection de rentrée des Inrocks, sélection pour le Prix de Flore et sollicitations de France Culture, entre autres.
Premier roman, mais pas premiers écrits. C’est une vingtaine d’années en arrière qu’il a proposé un papier à Ventilo, après avoir assisté à un spectacle de l’humoriste Mohamed Fellag sur une scène marseillaise. Il a continué à écrire pour le magazine, ravi de pouvoir profiter d’une certaine liberté de ton.
Puis, pendant longtemps, il a slamé : le lien entre l’écriture et la musique est une évidence. Il complète cette exploration en faisant des études en électro-acoustique au Conservatoire de Marseille. Cette formation lui permet de réfléchir à la composition du récit, à la création littéraire : comment insérer du rythme dans l’écriture ? Et l’on se retrouve pris dans le rythme des virées dans le tout Marseille du double de papier de l’auteur, Stress, et de ses potes, puis dans celui des allers-retours passé/présent.
L’influence est aussi visuelle, cinématographique : il a réfléchi son livre comme un film, a pensé l’enchaînement des scènes comme dans ses projets vidéo. Ce qu’il résume parfaitement : « Écrire, ça m’a permis de faire mon film sur cette ville ».
Un film format papier sur Marseille, certes, mais surtout sur son célèbre Panier. C’est à ce quartier que l’auteur voulait rendre hommage originellement. Car on peut bien parler d’origines quand on sait que c’est là que ses parents ont emménagé dans les années 70, arrivant d’Algérie et espérant vivre dans un lieu ressemblant à Alger. Mais aussi par volonté de mixité et par militantisme : on ne vient pas pour rien dans un tel quartier, habité par les familles immigrées corses, italiennes, comoriennes, logées dans les taudis du marchand de sommeil Papa Sanchez. Hadrien Bels rigole en racontant qu’il était bien souvent le seul blanc dans le quartier, sur les bancs des écoles des Moulins et des Accoules. Dans ce récit « autofiction », Hadrien Bels voulait parler de ses camarades et copains d’enfance et en a fait des personnages qui représentent l’immigration, arrivés dans le Panier avec leur culture, en « première pression à froid ». Dans les chapitres plus ancrés dans le présent, il constate que cette première pression a pu perdre de sa saveur et gâter petit à petit Marseille. À cause de qui, à cause de quoi ? Hadrien Bels nous donne des éléments de réponse. Le ton est parfois amer, parfois acide, parfois sucré-salé. En tout cas, c’est un premier roman qu’on savoure.
Olivier Perchoc
Dans les bacs : Cinq dans tes yeux d’Hadrien Bels (Éditions de l’Iconoclaste)
Rencontre avec l’auteur le 17/09 à 19h à la Librairie Pantagruel (44 Rue Paul Codaccioni, 7e). Gratuit sur inscription au 09 54 44 28 24 ou à librairiepantagruel@gmail.com
Rens. : www.editions-iconoclaste.fr