Fabuleux troubadour
A Marseille, il est connu comme le loup blanc. De Gacha Empega au Còr de la Plana en passant par Chin Na Na Poun, Polyphonic System, Madalena, Ve Zou Via ou en menant de nombreux ateliers, Manu Théron continue son immersion au cœur des répertoires des pays d’Oc. En trio avec Grégory Dargent et Youssef Hbeish au sein de Sirventés, il revisite les poésies contestataires des troubadours. On a donc profité de la sortie de leur disque.
« Il ne faut pas se poser la question des origines, mais celle des itinéraires, et des passages. Comment passe-t-on d’une époque à l’autre ? D’une géographie, d’une région ou d’un imaginaire à l’autre ? C’est comme ça que les musiques fonctionnent et se transmettent. » D’autant que si l’on se prête au jeu des origines, il est aujourd’hui encore difficile d’évoquer celle des troubadours, les fameux poètes de l’amour courtois (sorte d’élévation quasi mystique de l’être par l’amour), dont les vers en langue d’Oc ont massivement influencé l’ensemble du bassin européen pendant plus de trois siècles. Incontournables, d’autant plus que leur œuvre demeure, à ce jour, le premier témoignage en Europe de poésie en langue vernaculaire. « Si tu ne t’intéresses pas à eux, c’est que tu ne t’intéresses pas à la poésie. Tous les poètes s’y sont penchés. Et si on les évoque trop peu dans les manuels d’histoire français, c’est juste dû à la névrose que ce pays entretien envers les langues et les cultures qui le composent, c’est tout. Mais si tu regardes en Italie ou en Espagne, ils sont partout. » Quoi qu’il en soit, plusieurs thèses se rejoignent pour dire que les troubadours vivaient dans une société en relation permanente avec les royaumes arabes d’Espagne, « où la poésie amoureuse, courtoise était développée depuis le huitième siècle. » Comme pour les recouper, au sein de Sirventés, c’est l’évidence : l’Orient est là, à portée de main, tant dans le chant que dans l’omniprésence du oud de Grégory Dargent (dans une approche des musiques orientales à la fois populaire et savante) et dans les percussions de Youssef Hbeish (Palestinien vivant en Israël, qui n’a pas fait le choix entre musique et philosophie). « A première vue, on pourrait voir quelque chose de médiéval, mais en fait c’est du rock’n’roll », précise d’un ton amusé Manu dans une interview pour le label producteur Accords Croisés. Du rock’n’roll qui ne manque pas de rendre un hommage tout particulier à l’oralité et à ses modes de transmission : « Un bon troubadour connaissait en moyenne entre 300 et 500 chansons. Aujourd’hui, un être humain en connaît à peu près une trentaine, et un chanteur aux alentours de 200... »
Evidemment, une culture, ça prend du temps. Manu en a bien conscience, ça fait un moment qu’il planche sur le sujet, mais jamais l’envie ne s’était ressentie aussi forte de creuser le sillon, faisant de lui un véritable spécialiste en la matière. Comme une corde de plus à l’arc d’un multilinguiste avide de connaissances. Car Manu chante d’abord en occitan. Ce n’est ni un secret, ni vraiment non plus le fruit du hasard. Si l’on ne parle aucune langue minoritaire à la maison, et si ses parents ne sont pas originaires de Provence, c’est après avoir résidé aux quatre coins de l’espace européen qu’il s’est pris de passion pour le fait linguistique. Particulièrement touché par la cohésion culturelle et le bilinguisme encore très pratiqué dans les régions italiennes, il décide de retrouver ce même rapport à l’altérité où il vit désormais, à Marseille. « Liberté, fantaisie, création, inventivité, voilà ce qui fait la vie d’une langue. Et chaque fois que l’on en apprend une, on s’immerge dans une culture. C’est donc pour moi très important, dans mon développement personnel, qui s’appuie sur une certaine idée de la citoyenneté et de la connaissance de son milieu, de connaître la langue qui, pendant mille ans, fût celle de ce peuple et a servi à désigner chaque chose de sa vie et de son environnement. Ce territoire est imprégné par cette langue, et pour connaître ce territoire, il faut connaître cette langue. »
Mais ce qui concourt d’autant plus à faire de Manu un personnage emblématique, c’est cette propension à infiltrer et transcender les milieux pour aller de l’avant. Ainsi, on peut aussi bien le croiser au Bar de la Plaine qu’à l’Alhambra à Paris, en tournée au Japon ou dans une formule plus intimiste à l’Ostau dau País Marselhés. « Tout le monde a besoin de tout le monde. Il faut des gens qui s’intéressent à la recherche, d’autres à la fonctionnalité, d’autres à la vulgarisation et d’autres, au contraire, à l’élitisme... » De toutes les situations, de tous les contextes, Manu Théron fait de la musique sa vie. Comme une nouvelle forme d’amour courtois, ce « sentiment qui révèle l’être humain. »
Jordan Saïsset
L’album Sirventés. Chants fougueux des Pays d’Oc/Occitan protest songs (Accords Croisés/Harmonia Mundi) est disponible dans les bacs.
Rens. : www.accords-croises.com
La chronique du disque
Si ce disque ne recherche aucunement l’authenticité, s’il est à cheval entre des documents d’époque et des interprétations contemporaines, des compositions de Manu Théron et d’autres de l’ère médiévale, il n’en demeure pas moins littéralement imprégné d’un précieux savoir. Historique d’abord (Théron est un véritable spécialiste en la matière), culturel ensuite (il est plus qu’impliqué depuis vingt ans dans le renouveau des musiques des pays d’Oc). De fait, ce disque, véritablement attribué à un trio (Hbeish/Dargent
Jordan Saïsset