Identité Remarquable | Mariannick Saint-Céran

L’âme musique

 

Elle est récemment montée sur la scène du Club 27 lors du concert organisé par le Marseille Jazz Collective à l’occasion de la Journée Internationale du Jazz. Chanteuse incontournable des scènes jazz de la région, Mariannick Saint-Céran a la sincérité chevillée au cœur et au corps.

 

 

Parmi les projets que Mariannick Saint-Céran défend ces temps-ci sur scène, In Soul We Trust met en valeur la soul engagée des années 70, avec la crème des musiciens régionaux : Lionel Dandine (piano), Marc Campo (guitare), Lilian Bencini (basse électrique) et Cedrick Bec (batterie). Le répertoire aligne des titres emblématiques de Gil Scott-Heron, Donny Hathaway et du groupe d’alors de Chick Corea, Return to Forever, parmi lesquels Open Your Eyes, You Can Fly, dont l’interprétation par la légendaire chanteuse brésilienne Flora Purim l’a particulièrement touchée. Avec son groupe, elle interprète aussi Compared to What, brûlot soul-jazz qui faisait figure d’hymne anti-conscription lors de la guerre du Vietnam. Elle s’empare de ce dernier titre avec d’autant plus de conviction qu’elle avait été invitée à interpréter un blues sur scène par le pianiste et chanteur Les McCann lors de sa venue à Miramas il y a une trentaine d’années lors d’un festival organisé par Roger Luccioni — cardiologue et contrebassiste, l’un des fondateurs de Marseille Jazz des Cinq Continents. Pour elle, les paroles de ces morceaux sont plus que jamais d’actualité, tant les questions de lutte pour la liberté personnelle et de quête de la vérité lui sont essentielles. « Quand tu es musicien, tu n’es pas que musicien », déclare-t-elle, soulignant qu’il y a pour elle le besoin de concevoir son métier au-delà du fait de travailler sa voix ou son instrument.

Sa proposition en hommage à Nina Simone, We Want Nina, continue également de tourner. Rappelons que la chanteuse afro-américaine, égérie du mouvement pour les droits civiques, termina ses jours entre Bouc-Bel-Air et Carry-Le-Rouet, sous le contrôle de manageurs véreux, entre bouffées délirantes du fait de ses troubles bipolaires et alcoolisme chronique, et n’a même pas une rue à son nom dans l’une de ces localités. Pour Mariannick, il est là question de filiation plus que d’identification : « Ma relation à la musique est épidermique, ce n’est pas quelque chose de cérébral », ajoutant que, même si elle comprend la colère de l’immense Nina Simone, elle ne peut que se mettre en recul. Il en va de même pour son Hommage aux divas du jazz, dans lequel elle s’approprie des standards de Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald ou encore Billie Holiday : par respect et pudeur, la distance reste nécessaire, car « personne n’a envie de s’approprier la tristesse de quelqu’un d’autre. » Pour elle, qui chante sur les épaules de ces géantes, il s’agit de faire « le choix d’un répertoire épidermique » où joie, énergie et émotion s’unissent pour toucher le cœur de l’auditoire.

 

Prendre conscience

 

Née et ayant grandi à Madagascar, elle arrive à Marseille pendant son enfance — plus précisément à Aix-en-Provence, un 24 décembre… sous la neige ! Avec son père, fan de musette, et ses frères, elle se met au sega et au maloya, cette musique réunionnaise interdite de diffusion radiophonique jusqu’en 1980 tant elle était synonyme d’émancipation des descendants d’esclaves. Si ce patrimoine musical fait partie de ses racines, elle n’en est pas moins rapidement happée par la culture métropolitaine, estimant être « le résultat finalement heureux d’une histoire qui a commencé dans l’esclavage. » Elle écoute de la musique classique, comme Rimski-Korsakov, et assiste à son premier concert de jazz au Toursky à l’âge de quinze ans — rien de moins que le saxophoniste ténor Johnny Griffin. Elle découvre le blues par l’entremise d’un ami de ses frères, un intellectuel antillais qui lui fait découvrir la poésie et les engagements d’Aimé Césaire. Les premiers disques de jazz qu’elle écoute sont ceux d’Earl Hines et de Willie Dixon. Puis c’est LA découverte : Ella Fitzgerald qui chante Summertime. C’est sur le tas qu’elle apprend à devenir chanteuse de jazz, en cochant la case conservatoire dans la classe de solfège du fantastique Georges Bœuf (l’un des fondateurs du Groupe de Recherche et d’Improvisation Musicale). À l’orée des années 80, elle tourne beaucoup avec le groupe de musique brésilienne Coco Verde, et chante dans le big band de Vincent Séno, qui la sollicite pour remplacer une chanteuse dans un quartet de jazz aux côtés, entre autres, du pianiste Hervé Sellier, qui fut notamment accompagnateur de Dee Dee Bridgewater. En 1995, elle publie un premier album de compositions, dont elle signe les paroles et la musique. Elle se rappelle encore des difficultés qu’elle a alors à écrire des textes.

Elle tourne à l’international (Russie, Brésil, Suisse, Egypte, Sénégal, Cap-Vert) et partage la scène avec des artistes comme Benny Green (pianiste du dernier trio du légendaire contrebassiste Ray Brown), Guy Lafitte (saxophoniste qui fut, entre autres, l’un des fondateurs de Jazz In Marciac) ou encore Sangoma Everett, batteur américain installé dans la région lyonnaise. Elle pose un temps ses valises à Paris, où elle chante en club (Duc des Lombards, Caveau de la Huchette) puis revient s’installer à Marseille.

Sa pudeur, signe d’un infini respect pour la musique, la conduit à se faire d’abord interprète de répertoires éternels dont elle se fait la passeuse, avec une voix dont la profondeur le dispute à l’émotion. Femme de jazz, elle s’engage corps et âme dans cette musique avec pour leitmotiv : « Prenons conscience de ce qu’il se passe. »

 

Laurent Dussutour

 

Pour en (sa)voir plus : marie-annick.saint-ceran.com/fr/