Pourriture(s)

Pourriture(s)

« Ce n’est pas la pluie. » Les mots cinglants d’une banderole hissée sur un immeuble de Noailles, à proximité de l’effondrement, ont clos le débat indécent lancé par les principaux responsables. Une foule de Marseillais l’a emportée jusqu’à la mairie samedi, derrière les familles et les habitants meurtris. La solidarité qui s’organise répond à l’urgence. L’indignation laisse place à la faim de vérité. On chercherait des boucs émissaires, monsieur le maire ? Bien inutile. Les faits révèlent crûment l’inaction coupable des rangs de la municipalité et de l’État. Le rapport de l’ancien directeur du logement à la Ville de Paris Christian Nicol, remis au ministre du logement de l’époque, annonçait dès 2015 « un parc privé potentiellement indigne présentant un risque pour la santé ou la sécurité de quelques 100 000 habitants. » Quand le quart des Marseillais vit sous le seuil de pauvreté. En 2011, la Justice avait mis en place un Groupement opérationnel de lutte contre l’habitat indigne pour initier des procédures judiciaires. La Mairie ne l’a plus alimenté en données. Il n’existe plus. L’Agence régionale de santé décrit l’incompétence et l’empressement des agents municipaux à cacher les dossiers signalés sous le tapis. Le n°63 était en péril depuis 2006, avant de devenir propriété publique en 2017 dans un « plan d’éradication de l’habitat indigne. » Les budgets consacrés à la rénovation des logements insalubres sont dix fois moindres que dans les villes comparables. La politique du pourrissement a abouti. Huit morts, des dizaines de sans-abri, autant de victimes de l’incurie municipale. Le seuil de considération de la Ville rend les pauvres invisibles à l’action publique. Relégués dans le nord à l’abandon, consignés dans le centre pour attendre de les voir disparaître, remplacés par plus estimables. Les responsables sont devant nous, le roi est nu. Pour la succession, on entendra les lamentations du changement, ces relayeurs de la doxa malsaine du ruissellement, qui verrait le flouze des plus riches s’égoutter sur des naufragés. Ne nous faites pas répéter. Ce n’est pas la pluie.

 

Victor Léo