Pride Marseille
L’entretien
Noémie Pillas
Pour la Pride « Indivisibles » de cette année, Fierté Marseille Organisation renouvelle évidemment sa marche, le 1er juillet, mais aussi deux intenses semaines de programmation à travers la ville, les genres et les arts, le tout clôturé par une soirée bouillante et flamboyante à la Cartonnerie de la Friche la Belle de Mai. Avant la quinzaine « culturelle, festive et militante » à partir du 16 juin, nous avons rencontré Noémie Pillas, administratrice, directrice de production et directrice artistique de l’association, pour parler culture, luttes et coulisses.
La Pride de Marseille a trente ans cette année. Quel pourrait être le bilan ?
Depuis toutes ces années, beaucoup de choses ont bien avancé à Marseille… En ce qui concerne la Pride, on a eu des soutiens de tous bords politiques, gauche et droite. Mais on a pu constater un certain immobilisme de la Ville de Marseille pour les luttes LGBT jusqu’au Printemps Marseillais. Il a manqué de courage politique à la personne qui était à la tête de la ville pendant ces nombreuses années ; c’est pour ça qu’on n’a pu créer le Centre LGBT que maintenant. Depuis les premières manifestations sauvages sur les marches de Saint-Charles, beaucoup de chemin a été parcouru, ce qui a d’ailleurs été archivé par l’association qu’a fondé Christian De Leusse, Mémoire des sexualités.
On voit qu’il y a une volonté d’inclusivité sur ces dernières années ; notamment au niveau des transidentités. Il y a aussi un effort d’intersectionnalité, avec de plus en plus de représentations de personnes LGBTQIA+ racisé·es. Comment ça s’est exprimé ?
D’autres personnes sont venues dans l’organisation de la Pride et ont fait bouger des lignes. On avance aussi en regard de ce qui avance à côté : de plus en plus de personnes comprennent que le sujet majeur aujourd’hui n’est plus le mec cis gay : on parle d’autres choses, il y a d’autres histoires à raconter. On a déjà beaucoup montré leurs histoires… même si il n’y pas de hiérarchies des souffrances. On le voit dans le documentaire de Mediapart, Guet-apens, des crimes invisibles : la communauté gay est encore très attaquée en France, il faut donc encore et toujours la soutenir.
Fiertés Marseille Organisation organise la Pride depuis 2019. Tu en as été présidente en 2021, et tu es désormais directrice de production, directrice artistique et administratrice. Quels sont les enjeux que tu portes avec ces postes ?
Je porte l’aspect technique de toute la Pride Marseille : le char, la sécurisation, etc. Je suis en lien direct avec le directeur technique, le régisseur bar, la préfecture de police… je gère les subventions, et avec Caroline, le budget. Sur la direction artistique, je m’assure de la cohérence de notre programmation et ce qui m’intéresse, c’est qui on montre sur scène : si en backstage il y a des meufs, des personnes trans, c’est aussi important qu’elles soient visibles !
On en parle beaucoup ces dernières semaines : les agressions homophobes, transphobes sont en hausse. Est-ce que c’est à lire en corrélation avec la montée des fascismes ?
Il y a un point sur lequel on est assez inquiet·es : à Marseille, on n’a jamais eu d’attaque fasciste sur les marches, mais le Centre LGBTQIA+ n’est pas encore ouvert, donc finalement le crash test n’a pas encore eu lieu. Au-delà de la baisse globale de nos subventions, ça fait quelques années qu’on paie nous-mêmes le dispositif anti-attentat et anti-intrusion, mais puisqu’il s’agit d’une manifestation déclarée en Préfecture, elle devrait être à la charge de l’État. On est donc en ce moment en négociation pour répartir la charge au moins plus équitablement.
Seraient-ce les enjeux de cette édition 2023 de la Pride ?
Ces discussions sécuritaires sont sans doute une inquiétude et un challenge de 2023. Les autres revendications comptent aussi bien sûr, mais la sécurité vient appuyer un point de tension — particulièrement ces dernières semaines. En même temps, on est en train de créer le Centre LGBTQIA+, donc l’enjeu de la Pride 2023, c’est aussi de venir soulager cette tension liée au financement du lieu — historique — que nous allons ouvrir.
Vous n’avez que des financements publics ?
Pour le Centre oui, et pour la Pride, quasiment aussi, où on a un peu de mécénat : on nous offre de la publicité comme Médiatransports, des journaux… On n’a pas de sponsoring cette année, mais des partenariats.
… et de la part du département Culture ?
Nous ne faisons pas de culture, nous (rires) ! Avec notre casquette de militant·es, on n’est pas des professionnel·les. C’est ce qu’on nous renvoie, en tout cas, et on n’est pas les seul·es ! Dans le bassin lyonnais c’est pareil, quelques collectifs commencent à le revendiquer. Les financements que nous avons viennent des délégations de lutte contre les discriminations (quand elles existent), ou de l’égalité femmes-hommes, on a eu aussi via la jeunesse… À côté, on voit des structures capitaliser sur nos cultures, mais à nous, on dit qu’on est militant·es, et non pro. On a vingt-huit pages de brochure de programmation, mais en même temps on ne fait pas de la culture ? Il y a là une ambivalence… Au-delà de ça, on paie des technicien·nes, des artistes, on participe à l’économie de la culture.
Vous êtes combien dans l’organisation ?
Pour organiser la Pride, on est six, plus ou moins. Contrairement à ce que pensent les gens, ça demande beaucoup de travail que d’organiser une Pride, et peut-être trop, d’ailleurs. Moi-même j’ai parfois envie de passer à autre chose, mais j’ai peur que ce contre quoi je me suis battue revienne…
Il a des personnes qui viennent de la culture ? De quelles professions viennent les militant·es ?
Non, personne de la culture. C’est très diversifié : on a des personnes qui travaillent dans la pub, dans des commerces, des communiquant·es, des personnes comme moi, qui ont plutôt un parcours scientifique, voire de santé communautaire. Mais ce sont des personnes qui ont l’expertise de leurs luttes. Le bénévolat, ça nous a permis à tous·tes d’acquérir beaucoup de savoir-faire. Dans le dur, mais quand même.
On imagine qu’apprendre sur le tas, ça permet aussi de renouveler les façons de faire dans ce monde de la culture…
Par exemple, sur les luttes contre les VHSS (violences et harcèlements sexistes et sexuels) : on n’a jamais attendu 2023 pour le faire. Ça fait des années que la communauté LGBT, ou queer plutôt, travaille sur ces sujets et met en place des dispositifs. Ça fait des années que nous avons des bénévoles qui tournent dans les soirées pour s’assurer que tout se passe bien. Mais on n’a pas (encore) la science de mettre en avant nos actions.
L’association Fierté Marseille Organisation coordonne une programmation très diverse, avec expos, performances, humour, danse, drag show, tables rondes… pendant deux semaines : c’est la Pride2Weeks. Et une soirée organisée par vous vient clôturer la fameuse Marche des Fiertés. Quelles sont les principales intentions derrière cette programmation ?
Fédérer les acteur·ices. On fait cette Pride2Weeks pour proposer à chaque structure de mettre un évènement dans un calendrier commun et de tout coordonner, de créer une unité et une visibilité supplémentaire pour toutes les assos. Cette année il y a eu aussi le Ballet National de Marseille, le cinéma Pathé Madeleine, une compagnie de danse, des collectifs queer… de tout !
C’est en fait une sorte d’appel à programmation, cette Pride2weeks ?
Oui. Il n’y a pas de critère pour apparaître dans notre brochure, on ne demande rien aux associations.
Il y a des évènements que vous produisez ?
Oui, par exemple on a eu beaucoup de propositions d’évènements drag, donc au lieu d’en proposer dix en deux semaines, on a décidé de regrouper le tout en un seul, à la Friche la Belle de Mai (Drag2Mars, le 29 juin). On a aussi notre « QG » : on loue Marseille 3013 pendant deux semaines. On a choisi quelles expositions on avait envie d’y montrer sur plusieurs propositions : Sun Afrika, avec son expo Les 30 Glorieux·ses ; le Consulat du Portugal qui nous a contacté·e·s en début d’année avec l’idée d’exposer Mag Rodrigues, qui photographie des couples queer chez elle·ux, avec des enfants, etc. ; on a la Compagnie Essevesse qui y fait une installation, et le Refuge avec des photos.
On est sur une programmation uniquement proposée par des artistes LGBTQIA+. Ce qui n’est pas évident pour toutes les Pride. On voit aussi des propositions artistiques estampillées LGBT ou queer. Pour toi, qu’est-ce qui fait la spécificité de la culture LGBT ou queer ?
Je pense que déjà, elle doit venir des personnes qui vivent des oppressions, qui sont des minorités de genre ou de sexualité. Je pense aussi que la culture doit porter des revendications, des droits, des réalités. Par exemple, Mag Rodrigues photographie des personnes chez elles : c’est « juste » des photos de gens sur leurs canapés. Mais en réalité, ça vient dire « regardez, il n’y a pas tant de différences » : iels ont des enfants, iels sont chez eux, sur le même canapé Ikea que tout le monde… Sun, dans son expo Les 30 Glorieux·ses, avec des portraits de personnes noires LGBT, vient dire encore autre chose. Pour moi, la culture queer LGBT représente nos luttes et nos vies : elle montre à la fois que nos parcours sont hachés, et à la fois que nos familles sont comme les autres. Je ne pense pas qu’on puisse se revendiquer queer si on n’a pas cette partie de nous qui vient faire un plaidoyer.
C’est le cas par exemple pour Kiddy Smile, activiste et figure importante du voguing parisien, que vous faites jouer le 1er juillet à la Cartonnerie de la Friche…
Oui, et tous les artistes ont été choisis car iels ont quelque chose à dire, soit par leurs vécus, soit par leurs travaux. Et puis, on doit pousser nos artistes parce que personne ne le fera aussi sincèrement que les gens de la communauté.
Et comment, en pratique, on fait tenir ensemble culture, militantisme et fête ? Le militantisme repose sur le bénévolat, alors que du côté de la culture, pas tellement.
Ça, ça tend à bouger. Dans nos communautés, on fait du care (du soin) de manière gratuite depuis très longtemps. Mais un changement est en train de s’opérer : on essaie de valoriser notre travail et de le faire rémunérer à sa juste valeur. Mais pour revenir à la question, c’est difficile : beaucoup de personnes pourraient croire qu’on engrange de l’argent, mais en réalité, l’année dernière, on était déficitaires sur le festival (le Longchamp Pride Live ! Festival). Quand bien même on essaie au maximum d’être accessibles, c’est aussi au détriment de nos vies, parfois, tout ça fatigue. Aujourd’hui, les exigences sont hautes : il faut un festival accessible, des consommations pas trop chères, un lieu qui tend à être safe, une programmation artistique diversifiée. Parfois, il faut faire des choix, et des concessions. Il y en a qui pensent qu’avoir des financements publics, c’est pas bon. Nous, on fait le choix de les accepter. Peut-être qu’on pourrait faire sans et avoir d’autres modèles… Je ne dis pas qu’on a le meilleur modèle, et peut-être aussi que ça pourrait changer dans les années à venir.
Propos recueillis par Margot Dewavrin
La Pride2Weeks, du 16/06 au 2/07 à Marseille.
La Marche des Fiertés, le 1/07 à 14h à la Porte d’Aix (1er).
Soirée officielle avec Kiddy Smile, Almevan b2b Anna Superlasziv, D. Jekyll et Sun Afrika le 1/07 à La Cartonnerie de la Friche la Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).
Rens. : www.pride-marseille.com
Le programme détaillé de la Pride2Weeks ici