Les propositions estivales de Voyons Voir
Nature forte
La saison 2016 de l’association Voyons Voir, très justement intitulée Détours, nous propose le temps d’un été de découvrir une dizaine d’artistes dont les œuvres se déploieront sur quatre sites. Quand les artistes investissent les paysages de Provence au 21e siècle, il en résulte tout autre chose que des Sainte-Victoire à la pelle, même si la montagne de Cézanne continue d’inspirer ou d’impressionner nos jeunes plasticiens…
Lier l’art contemporain et les territoires, découvrir un patrimoine pour lequel il nous faut quitter les centres urbains pour s’enfoncer dans les collines et la garrigue, tels sont les Détours proposés par Voyons Voir depuis bientôt dix ans. Les artistes sélectionnés chaque année par un comité d’experts viennent de toute la France et demeurent ainsi, le temps d’une résidence, au sein d’un paysage et de ses éléments qu’il leur faudra comprendre et avec lesquels il leur faudra jouer pour réaliser une œuvre in situ. Cette dernière devra rivaliser avec les dimensions que la nature impose et soutenir un rapport d’échelle particulièrement difficile lorsque l’art intervient en extérieur. Qu’elle le sublime ou qu’elle l’interroge, qu’elle donne au spectateur de nouvelles clés de lecture et de regard, l’œuvre d’art doit à la fois être autonome, soutenir la comparaison avec le paysage et interroger le site sur lequel elle s’installe et avec lequel elle collabore le temps d’une exposition… Ce paysage, il faut donc l’appréhender physiquement pour l’artiste, s’y déplacer, l’entendre, le voir et le sentir. L’artiste traduira ensuite sa vision des choses et de son expérience à travers des médiums et des processus qu’il développe habituellement dans sa pratique artistique. Gare à l’illustration ou à la redondance ! L’œuvre créée spécifiquement pour le site doit faire bien plus que le souligner ; elle doit permettre au visiteur de l’envisager selon d’autres critères et d’en avoir une lecture renouvelée et enrichie.
Les balades estivales débuteront cette année au domaine viticole de Saint-Ser, au pied d’une imposante et matriarcale Sainte-Victoire où nous retrouverons le duo Mountaincutters (prix ESADMM 2014, récemment sélectionné au Salon de Montrouge), Robin Touchard (prix ESADMM 2015, actuellement résident des Ateliers d’Artiste de la Ville de Marseille) et Julien Fargeton, invité de l’atelier NI en mai dernier pour le PAC, à l’occasion duquel il offrait généreusement des gaufres liégeoises cuisinées sur une sculpture-gaufrier réalisée avec de véritables plaques d’égout de la ville de Liège… Un humour grinçant dont il fera également preuve dans son œuvre Réplica, sorte de caverne ambulante de béton et d’acier qui tient la dragée haute à la montagne qui la domine, une ruine posée sur une remorque, proposée comme un abri à celui qui s’y installerait pour laisser son esprit vagabonder…
Début juillet, la programmation nous ramène vers la ville, dans le centre de Marseille, puisque Voyons Voir s’invite au FRAC pour présenter sur le plateau expérimental l’exposition Sainte-Victoire ou l’impossible motif avec Anne-Lise Broyer et Dominique Castell. Respectivement en résidence à Saint Ser en 2010 et 2007, les deux artistes reviennent sur leurs pas quelques années plus tard et continuent d’interroger ce motif que l’on pourrait croire galvaudé, mais qui n’en finit pas de tarauder l’œil de l’artiste. Anne-Lise Broyer, pour qui le massif est « l’incompréhensible, l’indomptable, le changement permanent », l’étudie, l’observe, le scrute, le photographie et le dessine par deux fois. Le dessin lui permet de le comprendre encore un peu mieux et de l’épouser d’avantage, le geste de l’artiste se confondant avec celui du chercheur, le dessin et la photo s’imprégnant l’un l’autre… Quant à Dominique Castell, elle se laisse peu à peu imprégner par la montagne (« Je dessine le motif de la montagne qui me traverse et que je traverse ») et l’expérimente physiquement, se laissant saisir par ses bruissements, ses changements de température qu’elle traduit dans un geste frénétique et nerveux, emporté dans un camaïeu de noirs et de gris, dans une somme de petites traits vigoureux, et balancé par les forces de la nature… Dominique Castell dessine le mouvement, les vents, les matières, les changements d’air ; sans jamais proposer de représentation de la montagne, elle en multiplie les détails comme elle multiplie les pages d’un carnet de bord…
Après les joueurs de football de l’équipe nationale d’Autriche, les propriétaires du Moulin de Vernègues de Mallemort verront affluer mi-juillet les amateurs d’art contemporain pour découvrir les œuvres de Paul Duncombe, Laurent Gongora, Jean Lain et Manon Rougier. Les quatre artistes installeront dans ce complexe hôtelier de haut standing des œuvres qui révèleront un paysage typiquement provençal et une architecture préservée de l’époque où se trouvait l’ancienne congrégation religieuse. Attentif aux écosystèmes et à son environnement, Paul Duncombe retrouvera ainsi les conditions propices à la poursuite de ses recherches autour d’une œuvre in situ se nourrissant de la flore locale. L’artiste s’appuie sur une méthode mise au point par Darwin qui détermina le caractère vivant d’une plante, mettant au grand jour les mouvements presque imperceptibles effectués par l’apex (le sommet) d’une plante et les dessins générés par ces mêmes mouvements : « Je souhaite figer cette croissance naturelle, invisible, par une observation directe et je souhaite par là même inscrire les formes obtenues dans le champ de l’art contemporain : uniques dans le temps et dans l’espace, les courbes tracées par les plantes étudiées grâce à ce dispositif dessineront les contours de sculptures qui seront exposées dans la nature… » A nous de retrouver sur notre parcours les formes sculpturales « imaginées » par la plante soumise au dispositif d’observation configuré par l’artiste…
Les expositions de Voyons Voir, visibles tout l’été et une partie de l’automne, révéleront à l’amateur d’art comme à l’amoureux de beaux sites et de paysages authentiques combien la nature et sa préservation constituent aujourd’hui un intérêt, un sujet, voire une préoccupation majeure des artistes contemporains. Les projets sélectionnés pour cette édition 2016 témoignent tous d’un regard sur cette nature que l’on sait en danger, que de très nombreuses initiatives tentent de préserver mais que les diktats de la finance et du profit continuent de sacrifier en toute impunité… Les artistes, surtout les jeunes, nous alertent sans revendiquer, sans polémiquer, sans manifester. Ils nous amènent simplement à poser notre regard, notre attention puis notre conscience sur ce qui nous entoure, sur l’immense beauté à sauver et sur l’immense gâchis que nous sommes en train de vivre…
Céline Ghisleri
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L’Art dans les vignes : du 24/06 au 30/10 au Domaine de Saint-Ser (Avenue Cézanne – D17, Puyloubier)
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Anne-Lise Broyer et Dominique Castell – Sainte-Victoire ou l’impossible motif : du 1/07 au 14/08 au FRAC PACA (20 boulevard de Dunkerque, 2e)
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Paul Duncombe, Laurent Gongora, Jean Lain et Manon Rougier : du 12/07 au 30/10 au Moulin de Vernègues (Domaine de Pont Royal, Mallemort)
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Alain Brunet – Règles + Didier Petit – Babel : du 1/09 au 30/10 au Moulin de Vernègues (Domaine de Pont Royal, Mallemort)
Rens. : www.voyonsvoir.org