La nouvelle exposition du Musée de la Mode tente de cerner les règles du Dress Code, transition vestimentaire peu définie qui sépare la tenue de journée des toilettes du soir. Une invention américaine qui prend racine dans les années de prohibition, folle époque où les cocktail parties allaient bon train… (lire la suite)
La nouvelle exposition du Musée de la Mode tente de cerner les règles du Dress Code, transition vestimentaire peu définie qui sépare la tenue de journée des toilettes du soir. Une invention américaine qui prend racine dans les années de prohibition, folle époque où les cocktail parties allaient bon train. Le Miroir puise ici l’inspiration de sa nouvelle programmation, dessinant un parcours cinématographique fait d’élégance, de mondanité et parfois de cruauté. Où l’on découvre que luxe et volupté ont un coût et que le visage de la fête n’est jamais celui qu’on croit. Suivez les bulles.
L’arrivée fiévreusement attendue des beaux jours fait renaître épars, le long de notre littoral phocéen, apéros dînatoires et autres parties fines. C’est le temps de battre le sable, pieds nus et légèrement mais non moins élégamment vêtus, au rythme des platines, laissant un instant sur le bitume nos colères sociales. Le temps de goûter à cette douce chaleur de fin d’après-midi, avant que la soirée ne nous happe jusqu’au petit matin. Pour l’occasion, le Miroir se joint à la fête et trempe la pellicule dans un fond de champagne Gosset grand crû. Une vingtaine de petits-fours et puis s’en vont, sous formes de joyaux cinématographiques, issus pour la plupart de l’élégance made in Hollywood. Ce type de films où arsenic et bloody mary poivré finissent par avoir peu ou prou le même goût. Où les paillettes ne parviennent que difficilement à masquer le sombre visage de la comédie humaine. Car derrière cette ébullition de frivolité, le drame bien souvent sommeille. Le festif se pare de sa tenue de cocktail, ce fameux Dress Code aujourd’hui exposé par le Musée de la Mode, mais en dispensant sourires et pose nonchalante, c’est la jugulaire qu’il vise. A décliner au féminin. Cet amer constat reste par exemple omniprésent dans l’œuvre de Mankiewicz, cinéaste lucide et intelligent, dont il nous est permis ici de (re)découvrir All about Eve et surtout l’immense Comtesse aux pieds nus, portraits de gloires montantes qui n’échappent pas, malgré le glamour qui les entoure, à cette sourde solitude. Même chez l’exilé Ernst Lubitsch, la comédie élégante se teinte parfois d’un zeste d’amertume. Le cinéaste producteur d’origine allemande, bien représenté dans cette programmation avec quatre films à la clé, a imposé un style gracieux — la « Lubitsch touch » — et un univers fait d’espièglerie mondaine. Les hommes y sont séducteurs, les femmes éblouissantes, mais l’esquive, la manipulation et le détournement vont bon train. Plus l’univers est sophistiqué, plus impitoyables en sont les règles. Un chef d’œuvre embrasse particulièrement cette dichotomie entre plaisir de l’instant et détresse insurmontable : La notte de Michelangelo Antonioni. La détérioration, jusqu’à l’incompréhension totale au sein du couple, se révèle plus violente encore dans un environnement présumé festif. Le devoir de distraction endosse la parure d’une lente torture, pour ceux et celles qui se sont tant aimés, et qui prennent alors conscience, au cœur de la fête, de toute l’indifférence qui les sépare. Il en est ainsi de l’insouciance des parties mondaines : misère humaine autant que sociale ne font pas partie des convives. Une nonchalante indifférence vis-à-vis de tout élément susceptible de gâcher le plaisir reste de mise : la fête ne souffre pas le malheur et plonge de ce fait les individus dans un profond égoïsme, les rendant sourds aux complaintes les plus bruyantes. Mon homme Godfrey, de Grégory La Cava, en est un bel exemple : il dépeint une Amérique d’entre-deux-guerres par trop scindée, opposant l’élite bourgeoise et festive aux vingt pour cent de la population sans emplois, plongés dans la misère. Certes, Carole Lombard au sommet de sa tragique carrière, y est superbe, mais la morale est-elle sauve ? Qu’importe, la question se dissout vite dans l’alcool, ou s’échappe dans la fumée des cigarettes, sous le regard langoureux des divas du glamour américain, déesses des cocktail parties, symboles de la séduction ultime, de Rita Hayworth (Gilda) à Ingrid Bergman (Casablanca), de Katharine Hepburn (Indiscrétions) à Greta Garbo (Ninotchka). Un défilé grandiose dans cette programmation qui n’exclut pas les œuvres de pur divertissement : voir ou revoir l’hilarant The party en 35 mm ou Goldfinger en copie neuve reste par ailleurs un immense bonheur. Le Miroir offre ainsi le dernier rafraîchissement cinématographique avant la lourdeur estivale, sous forme de rattrapage cinéphilique, se parant des plus beaux atours hollywoodiens, mémoires d’une way of life amorale, impitoyable mais terrrrrriblement délicieuse.
Emmanuel Vigne
Cocktail Party. Jusqu’au 4/07 au Miroir (Vieille Charité). Rens. 04 91 14 58 88