Raphaël Liogier (+ collaborations) – De l’humain, nature et artifices (La Pensée de Midi/Actes Sud)
Dès la page de garde, La Pensée de Midi annonce la couleur par la voix de René Char : « Faire longuement rêver ceux qui ordinairement n’ont pas de songes et plonger dans l’actualité ceux dans l’esprit desquels prévalent les jeux perdus du sommeil (1). » Si le sujet tient ici plus du cauchemar que du rêve, la question est par contre bien d’actualité. Dernier-né de la collection éditée par la revue intellectuelle aux éditions Actes Sud, De l’humain, nature et artifices nous propose en effet un exercice de prospective sur l’évolution de l’espèce humaine confrontée à l’ouverture apparemment sans limites du champ des possibles techniques et scientifiques. Une eschatologie à la sauce Terminator, où après avoir été créée par l’homme, la machine le modifie jusqu’à lui faire perdre son identité, donnant ainsi naissance à un post-humain. Point de départ de cette réflexion : l’école « transhumaniste » de Ray Kurzweil (2)). On parle ici de nano-sciences, de biotechnologie, de sciences cognitives, de prothèses et autres implants, dont la finalité serait d’optimiser l’être humain jusqu’à l’affranchir de toutes les contingences propres à son état et à son milieu. Cet « Homme augmenté » grâce aux progrès de la science pourrait même un jour accéder à l’immortalité. Comment résister à de telles perspectives ? Imaginez seulement : une mémoire parfaite et infinie suppléée par une discrète puce cérébrale, des jambes dignes d’Hussein Bolt, des bras à tordre l’acier munis de doigts habiles au macramé, des yeux dont on choisirait la couleur, une coupe de cheveux interchangeable façon Playmobil, la possibilité de reléguer Rocco Siffredi au rayon garçonnet et, cerise sur le gâteau, « la singularité », autrement dit l’éternité à la sauce transhumaniste. Pas mal non ? Pas si sûr…
On peut pour le moins s’interroger. Existe-t-il quelque chose chez l’être humain qui le qualifie en tant que tel, une particularité dont la perte signifierait de fait une disparition de son identité ? Raphael Liogier (3) et la dizaine d’auteurs qui l’accompagnent explorent plusieurs pistes : le sentiment de sa propre fragilité, à l’origine des élans altruistes et compassionnels ; la commensalité, ou comment partager un repas peut rendre plus humain ; le besoin de « se dire », l’homme ou l’« animal qui raconte sa vie ». La question est aussi abordée sous le prisme de certaines religions dominantes (on peut d’ailleurs regretter l’absence d’un éclairage musulman), sans oublier bien sûr un petit tour du côté de la tentation eugéniste, pendant inévitable de ce genre de divertissement.
En tout cas, pour tous ceux que la disparition de Moundir (l’aventurier de l’amour) laisse désœuvrés durant ces longues soirées d’un été qui tarde à démarrer, il est grandement recommandé de succomber à la tentation d’une balade dans l’infosphère en compagnie des « orins » (4) du Professeur Ganascia (5). Une saine lecture qui, à défaut d’étancher votre soif de savoir sur le sujet, déclenchera en vous une salutaire pépie et vous fera longuement rêver.
LC
Notes- Note sur le maquis – René Char[↩]
- Pas de charlatans sectaires ici, mais d’éminents scientifiques et professeurs travaillant pour de prestigieuses universités comme Oxford ou le mythique MIT (Massachusetts Institut of Technologie[↩]
- Sociologue et philosophe, professeur à l’IEP d’Aix et chef d’orchestre de cet essai[↩]
- Organismes informationnels[↩]
- Professeur à l’université Pierre-et-Marie Curie (Paris VI) spécialisé en informatique, intelligence artificielle et sciences cognitives[↩]