Règles douloureuses

Règles douloureuses

Entre autres horreurs, la guerre en Ukraine est venue nous rappeler que les conflits armés avaient des règles. Au détour de JT ou de matinales radio, on a ainsi pu entendre que l’armée de Vladimir Poutine avait violé à plusieurs reprises lesdites règles, issues de ce qu’on appelle le droit international humanitaire ou DIH — un euphémisme (doublé d’un acronyme), histoire d’atténuer le sens d’un mot désormais interdit en Russie et manifestement pas vraiment accepté ailleurs… Les amateurs de cette autre figure de style qu’est l’oxymore apprécieront également l’objectif fixé par le DIH, les Conventions de Genève et les autres protocoles afférents : « Humaniser la guerre ».

Aux pauvres humanistes utopistes comme nous, qui pensions naïvement que la guerre en elle-même était un crime, les législateurs et les médias ont ainsi opposé le terme de « crime de guerre » pour désigner les tirs de roquettes sur des zones résidentielles à Kharkiv et Marioupol ou l’utilisation des armes à sous-munitions. Et ça, c’est interdit par le DIH, qui considère que le but de la guerre (affaiblir le potentiel militaire de l’ennemi) doit pouvoir être atteint sans viser les civils et sans jamais utiliser des armes qui auraient des conséquences dramatiques pour eux. Ce qui, comme chacun sait, n’est jamais le cas en temps de guerre… Bienvenue en Absurdie !

À moins bien sûr que ces offensives n’aient été « accidentelles », auquel cas elles sont considérées comme des « dommages collatéraux » — encore un euphémisme ; décidément, la langue française regorge de subtilités pour éviter de nommer les choses qui fâchent… Et ça, c’est permis par le DIH… à condition que les dommages en question ne soient pas « excessifs ». Quant à savoir où se situe la frontière entre acceptable et excessif, c’est une autre histoire…

La liste des règles relatives à la manière de mener les hostilités stipulées par le DIH comporte plus de 500 occurrences, de l’obligation d’assistance et de couloir humanitaire dans une ville en état de siège (comme Marioupol par exemple) à la protection des ouvrages contenant des forces dangereuses (comme les centrales nucléaires par exemple), en passant par la « perfidie » (l’utilisation d’un insigne pour tromper l’ennemi et le tuer ou le blesser) — à ne pas confondre avec les « ruses de guerre » qui, elles, sont autorisées. Autant d’articles que les forces armées russes ne semblent avoir aucun mal à piétiner, en toute impunité.

Si le DIH doit être défendu, ne serait-ce que pour permettre aux organisations humanitaires de créer des (toutes) petites « oasis d’humanité » (pour reprendre la formule du fondateur de la Croix-Rouge, Henri Dunant) dans cette fabrique à tuer qu’est la guerre, il ne s’agirait pas de s’illusionner sur ses vertus. Ni d’oublier sa profonde absurdité.

 

CC