Les Rencontres à l’Échelle 2017

Rubrique Sur les planches , le mercredi 15 Nov 2017

Des enjeux de taille

Depuis Marseille, les Rencontres à l’Échelle offrent depuis douze ans un espace de liberté aux voix, aux langues et aux corps d’artistes des deux rives de la Méditerranée. Pour reproportionner le monde à taille humaine.

Si l’on en parle moins ces derniers temps (peut-être grâce à la débâcle du FN depuis quelques mois), les questions de migration demeurent d’actualité. Tandis que l’Europe cède aux sirènes nationales-populistes, la Méditerranée continue de servir de cimetière aux réfugiés d’Afrique et du Moyen-Orient. Et certains persistent à parler de « grand remplacement », comme si la naissance et l’appartenance territoriale ne relevaient pas avant tout du hasard… injuste par essence.

Heureusement, l’équipe des Bancs Publics porte depuis douze ans, sous la houlette de Julie Kretzschmar, un festival de théâtre ouvert sur le monde et sa pluralité. Car les Rencontres à l’Échelle, ce n’est rien d’autre que ça : une manifestation collective destinée à questionner « les histoires territoriales, les héritages culturels et religieux, les filiations naturelles, pour proposer d’autres alliances et emprunter des chemins inhabituels. » Une manière aussi de rappeler l’ADN de la cité phocéenne : une ville cosmopolite, traversée et façonnée par les trajectoires migratoires qui n’ont eu de cesse de l’enrichir.

« Basées sur le multilinguisme et la pluridisciplinarité », les Rencontres à l’Échelle donneront une nouvelle fois à voir les œuvres d’une quinzaine d’artistes peu, voire pas, diffusés en France, qui construisent un nouveau récit du monde, loin des représentations qu’en donnent les médias, notamment sur les mondes arabes.

Entre danse, théâtre documentaire, performance et arts plastiques, il s’agira ainsi d’aller à la rencontre de l’autre (Yan Duyvendak et Omar Ghayatt), de faire un travail de mémoire (Gurshad Shaheman, Ahmed El Attar, Waël Ali) ou de penser/panser l’absence (Hatem Hadawe, Kathryn Hamilton et Amal Omran). Bref, de questionner le passé et le présent pour bâtir un (autre) avenir.

Les Rencontres à l’Échelle : du 15 au 26/11 à Marseille.
Rens. : 04 91 64 60 00 / www.lesrencontresalechelle.com

Les immanquables du festival

Still in Paradise / Yan Duyvendak et Omar Ghayatt

Cela fait plus de dix ans que Yan Duyvendak et Omar Ghayatt proposent cette performance sur « la rencontre de l’autre ». Autrement dit la rencontre entre deux artistes, un performeur néerlandais, agnostique, et un comédien et metteur en scène égyptien, musulman. L’Occident et l’Orient. Invité à se défaire de ses effets personnels (chaussures, vestes, sacs…) et prévenu qu’il sera amené à « beaucoup bouger au cours de la représentation », le public est d’entrée mis à contribution via un vote pour décider quels « fragments » de la performance seront interprétés. Créant ainsi d’emblée un lien entre toutes les personnes présentes dans la salle, les deux artistes (et leur interprète, Georges Daaboul) se lancent illico dans une série de cinq représentations (sur douze possibles). Autant de pantomimes illustrées (par des photos, des extraits de films…), légères dans la forme, mais graves dans le fond, pour décrire l’actualité et l’état du monde, entre terrorisme, guerre d’images et crises migratoires.

> Les 15 & 16/11 à Montévidéo

Zig Zig / Laila Soliman

Jeune metteure en scène et dramaturge égyptienne, Laila Soliman se consacre exclusivement au théâtre documentaire, social et politique, dont « la vocation est d’être un outil d’émancipation pour les peuples ». En témoigne Zig Zig (qui partagera le plateau du Merlan avec Sa prière de Malika Djardi), ou la reconstitution du combat de douze paysannes égyptiennes violées par des soldats britanniques pendant la guerre d’indépendance, en 1919. En exhumant cette vieille histoire d’insoumission du temps de la colonisation, Laila Soliman questionne évidemment l’état de son pays aujourd’hui. Dans un dispositif minimaliste, elle explore les archives (notamment le procès absurde qui a suivi la plainte), offrant à ses cinq comédiennes un écrin parfait pour transmettre la douleur, mais aussi la détermination et le courage de ces femmes qui ont osé « balancer leurs porcs » dans une époque et un contexte plus que difficiles.

> le 17/11 au Théâtre du Merlan

De l’autre côté du mur / Gurshad Shaheman

Gurshad Shaheman est un habitué du festival, qui le soutient depuis ses débuts sur les planches il y a une dizaine d’années. Il soulève aujourd’hui le sujet tabou de la « menace fantôme dont l’Europe citadelle pense devoir se protéger ». Pourquoi cette « union » européenne ne joue-t-elle pas son rôle de terre d’accueil ? De quoi les Européens ont-ils peur ? Pourquoi Victor Orbán a-t-il fait construire un mur de 175 kilomètres de long entre la Hongrie et la Serbie ? Pour répondre à ces questions, le comédien et auteur d’origine iranienne est parti au Liban et en Grèce à la rencontre d’artistes et de personnes issues la communauté LGBT en exil. De son investigation, il a tiré un travail sur la mémoire, mettant en voix et en musique les témoignages de ceux qui ont dû fuir leur pays pour sauver leur vie. Cette lecture par les élèves-comédiens de l’Ensemble 26 de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille servira de préambule à une création scénique prévue pour 2018.

> le 18/11 à la Friche La Belle de Mai (Petit Plateau)

Before the Revolution / Ahmed El Attar

Dans ses créations, le metteur en scène Ahmed El Attar, chef de file du théâtre égyptien indépendant, questionne toujours le collectif à partir de l’intime, la société et le politique à partir de la cellule familiale. Comme en témoignent ses deux précédents spectacles, On the Importance of being an Arab (2011) et The Last Supper (2014), présentés en première européenne par les Rencontres à l’Échelle. Il revient ici sur le soulèvement de la place Tahrir et les prémisses du Printemps arabe avec un récit qui évoque tout à tour l’amour la famille, l’avenir, l’argent, l’oppression… Dans une scénographie épurée qui va à l’essentiel (un plateau nu, deux comédiens), il entremêle fiction et réalité pour raconter comment le peuple égyptien s’est vu dépossédé de sa révolution. En fouillant le passé, il invite les spectateurs à questionner le passé, réfléchir au présent et prendre conscience de la mémoire collective à construire.

> les 21 & 22/11 à la Friche La Belle de Mai (Petit Plateau)

Transaction / Mithkal Alzghair – C^ie HEK-MA

Réfugié politique d’origine syrienne, le chorégraphe et danseur Mithkal Alzghair explore par le mouvement ce qui constitue désormais une part de son identité : l’exil. Dans cette nouvelle création présentée comme une « performance-installation », il étudie les liens entre l’art et la réalité. Comment transposer l’indicible, l’horreur et le chaos de la guerre ? Comment décrire par les corps les déplacements de populations ? Harnachés, suspendus ou allongés au milieu des décombres suivant une explosion, les danseurs de ce ballet macabre traduisent toute l’absurdité de la guerre via une chorégraphie dépouillée et scénographie d’une simplicité bouleversante réalisée en collaboration avec le plasticien Khaled Dawa. Sur fond d’airs lyriques interprétés par la chanteuse syrienne Noma Omran, le chorégraphe soulève ainsi les consciences et réhumanise le drame à partir d’instants vécus et de son héritage fracturé par le passé.

AEA

> les 23 & 24 à la Friche La Belle de Mai (Grand Plateau)

Hospitalités / Massimo Furlan

On se souvient de son incroyable performance Foot, en 2007 au Stade Vélodrome, pendant laquelle il avait rejoué, seul et sans ballon, la mythique finale du Mondial 82. Iconoclaste et volontiers provocateur, s’amusant de sa propre vie, l’Italo-Suisse Massimo Furlan raconte ici le dénouement de ce qui n’était initialement qu’un canular. De passage sur la côte basque, dans l’un des « plus beaux villages de France », La Bastide-Clairence, il soumet à la mairie l’idée de mettre en place un centre d’hébergement pour migrants. Si le but initial de la manœuvre étant de semer le trouble dans cette petite commune « tranquille », la réalité a rejoint la fiction puisqu’une famille syrienne est venue s’y installer. Dans cette « polyphonie basque », neuf « vrais » habitants du village relatent sans dérision les chamboulements induits par l’accueil des réfugiés, livrant un portrait pudique et attachant de la société française.

AEA