La rentrée des Théâtres (Gymnase, Bernardines, Jeu de Paume, GTP)
Moteurs à créations
Les Théâtres aiment à ponctuer leurs saisons de temps forts… Ils débutent la nouvelle avec un long week-end de créations, aussi riche en têtes d’affiche qu’en diversité de propositions. Assortiment de genres pour un théâtre tout public.
Dominique Bluzet, le directeur des Théâtres, a vu très grand en signant son lancement de saison par un événement marquant : quatre créations présentées simultanément dans chacun de ses théâtres entre le 16 et le 24 septembre.
Les Théâtres regroupent le Gymnase et les Bernardines à Marseille, le Jeu de Paume et le Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence. Dominique Bluzet entend en faire un outil unique pour un projet de territoire. Il s’agit donc de faire circuler les publics entre les structures, mais également de les renouveler. La venue de têtes d’affiche issues de la télé ou du cinéma comme Kad Merad ou Mélanie Laurent sera-t-elle un atout pour amener aux Théâtres davantage de non habitués ?
Le pari semble audacieux, mais l’offre culturelle s’avère très large, oscillant entre écriture contemporaine et danse, spectacle poétique à la française et divertissement. Il s’agit aussi ici de mettre l’accent sur le dynamisme créatif local face à la suprématie parisienne et d’éclairer la multiplication des résidences-créations réservant ses premières au théâtre accueillant. Même si l’on pourrait y voir un tour de chauffe avant d’affronter la capitale, il ne faut pas nier l’avantage non négligeable que soit offerte la primeur des spectacles au public de la région.
Chorégraphe parmi les plus vendus à travers le monde, Angelin Preljocaj présente ainsi sa nouvelle création, La Fresque, en voisin et partenaire, au Grand Théâtre de Provence, avant d’investir le Théâtre National de Chaillot. Renouant avec le conte, ici chinois, Preljocaj délaisse l’illustration en construisant des personnages de danse et non de théâtre. Suivant un jeune voyageur égaré, nous entrons avec lui dans une autre dimension, celle d’un tableau qui s’anime, mené par la grâce divine de Yurié Tsugawa sur des compositions de Nicolas Godin, musicien du groupe Air.
Ecrit et mis en scène par Xavier Durringer au Théâtre du Jeu de Paume, coproduit avec les Bouffes Parisiens, Acting illustre parfaitement ces liens tissés avec la capitale, facilitant la venue de spectacles financièrement très lourds. Acting se veut une comédie dramatique qui réunirait tous les publics autour d’un acteur de renom (Niels Arestrup), d’un acteur plus « showbiz » (Kad Merad), d’une figure locale (Patrick Bosso) et d’un metteur en scène à l’écriture directe et incisive déjà plébiscité précédemment sur les scènes nationales et au cinéma. Durringer y reprend ses thèmes de prédilection : la transmission et la confrontation, celle de deux cultures, l’une populaire (du type Plus belle la vie) et l’autre classique avec un monologue tiré d’Hamlet. Dans une cellule de prison, Robert, acteur condamné pour meurtre, rejoint Gepetto, un petit escroc minable, et Horace, muet et insomniaque. Robert va apprendre à Gepetto le métier d’acteur sous l’œil vigilant d’Horace, successivement témoin obligé, assistant et spectateur. La vraie révélation ne vient pas d’où on l’attendait : Patrick Bosso crée la surprise en campant un Horace subtilement vrai dans un rôle de composition total qui libère son potentiel dramatique. Il impose sa présence et incarne ainsi très justement l’une des facettes du jeu d’acteur où la gestuelle et le regard racontent sans dire, où l’observation est un enseignement.
La perle de ce début de saison (prochainement au Théâtre du Rond-Point) se joue au Théâtre des Bernardines et se nomme Moi et François Mitterrand, mis en scène par Benjamin Guillard (que l’on retrouvera en collaboration artistique sur Réparer les vivants avec Emmanuel Noblet, prochainement à Châteauvallon). Olivier Broche, alias Hervé Logier, seul en scène et dans la vie, fait conférence de ses échanges épistolaires durant plusieurs années avec François Mitterrand et ses suivants, décortiquant chaque mot des missives de l’homme d’Etat. Voilà un spectacle où l’interprétation prime, celle —excellente — d’Olivier Broche s’appuyant sur le texte poétique, impertinent et drôle d’Hervé Le Tellier.
Que celui qui n’a pas sur-interprété une dédicace d’écrivain par exemple nomme fou cet homme qui ne fait que réécrire à son gré les lettres qu’il reçoit, devenant ainsi l’unique écrivain de sa vie. Un joli parti pris de mise en scène en forme de pirouette s’amuse de nos croyances. L’ombre de François Morel plane au-dessus de cette pièce qu’il a produite. Son acolyte Antoine Sahler, qui l’accompagnera dans son nouveau tour de chant La Vie – Titre provisoire (à Châteauvallon la semaine prochaine), en a signé la musique. Un spectacle tendre, léger et intelligent pour oublier la rentrée.
Avec pas moins de treize créations présentées cette saison, dont deux par ses artistes accompagnés, Dominique Bluzet affiche clairement son désir d’être initiateur de projets plus que vitrine de spectacles à succès. En produisant Le Dernier Testament, il accompagne une nouvelle venue dans le théâtre, pourtant loin d’être une inconnue. La première mise en scène de l’actrice et réalisatrice Mélanie Laurent s’inscrit dans la lignée de son récent succès cinématographique Demain, ponctuée d’effets vidéo, de nature et d’appels à un monde meilleur. Elle adapte ici le roman Le Dernier Testament de Ben Zion Avrohom de James Frey et s’entoure de valeurs sûres comme les techniciens de Wajdi Mouawad (le créateur lumière Philippe Berthomé) et des comédiens de ses précédents longs métrages (Lou de Laâge, vue dans Respire, et Jocelyn Lagarrigue, vu dans Les Adoptés, et remarqué par ici dans le Casimir et Caroline de Léa Chanceaulme). Participent aussi à cette aventure Stéphane Facco, remarqué dans Monsieur de Pourceaugnac de Clément Hervieu-Léger, et l’acteur liégeois Olindo Bolzan (Décris-Ravage, succès 2016 du Off d’Avignon). A l’heure où nous écrivons ces lignes, le voile n’a pas encore été levé sur ce spectacle très technique monté dans le plus grand secret. Une fois que ce sera fait, on pourra dès lors se demander si le lieu de création peut en influencer le contenu…
Marie Anezin
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Le Dernier Testament mis en scène par Mélanie Laurent : jusqu’au 24/09 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er).
A voir aussi les 29 & 30/09 au Théâtre Liberté (Toulon). Rens. : 04 98 07 01 01 / www.theatre-liberte.fr -
Moi et François Mitterrand d’Hervé Le Tellier : jusqu’au 24/09 au Théâtre des Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er).
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Acting de Xavier Durringer : jusqu’au 24/09 au Théâtre du Jeu de Paume (17-21 rue de l’Opéra, Aix-en-Provence).
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La Fresque (L’Extraordinaire Aventure) par le Ballet Preljocaj : jusqu’au 24/09 au Grand Théâtre de Provence (380 avenue Max Juvénal, Aix-en-Provence).
Rens. : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net