Retour sur Retour à Berratham par le Ballet Preljocaj au TNM La Criée
Les cris du geste
Après sa première dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes lors du Festival d’Avignon, et un passage par le Théâtre National de Chaillot, le spectacle d’Angelin Preljocaj Retour à Berratham poursuit son épopée en jetant l’ancre à la Criée.
Loin des persiflages de la Cour d’Honneur, la création d’Angelin Preljocaj d’après le texte de Laurent Mauvignier a reçu cette semaine à Marseille un tonnerre d’applaudissements. Le spectacle, qui tient de la superbe et affronte avec audace la complexité de raccords entre le texte, le son, le mouvement dansé et le tableau scénographique, n’a pas perdu de son intensité et tient la barre haute, en lutte contre vents et marées. Pris dans le tourbillon des gestes, des paroles qui se déversent, du flot musical et de la tourmente des drames qui se jouent devant ses yeux, le spectateur a parfois du mal à connecter ses sens pour naviguer dans cette œuvre multifacette. Mais, passé un certain climax, la magie opère soudainement comme au cinéma. Son, paroles, lumières et corps se confondent alors en un langage unique pour nous conter ensemble l’histoire universelle de destins humains marqués de cicatrices laissées par la guerre. Cette guerre qui fait d’un environnement rêvé le théâtre d’un éternel désastre… Oscillant entre pulsions de vie et pulsions de mort, les corps se débattent au gré des tableaux, mus par un texte qui les mène vers une fin tragique. Tentante est la comparaison avec un West Side Story qui aurait pris une tournure macabre, mais s’il existe une filiation avec le 7e Art, elle est plus à chercher du côté d’un Tarkovski (Stalker) pour sa représentation d’un monde poétique post-apocalyptique ou d’un long-métrage comme Irréversible de Gaspar Noé dans sa capacité à magnifier l’horreur et la violence d’actes humains irréparables. Evoluant dans un no man’s land figuré par le décor scénographique d’Adel Abdessemed, les personnages prennent des allures de héros de tragédies antiques, en proie aux caprices des dieux de l’Olympe, à cela près que les dieux délétères sont des maux bien contemporains : Cupidité, Haine, Intolérance, Pauvreté, Exclusion, Maltraitance. La force de la proposition d’Angelin Preljocaj est ainsi de rendre visible l’indicible et de nous faire voir l’inavouable au-delà des mots.
Retour à Berratham n’est pas une terre que l’on arpente sans effort, à l’instar de cette ville éponyme que le héros redécouvre avec douleur. Passé le cap du non-retour, on peut se laisser aller au naufrage sublime dans lequel nous entraînent danseurs et comédiens réunis sur scène, dans la quiétude d’un fauteuil confortable.
Morgane Lagorce
Retour à Berratham par le Ballet Preljocaj était présenté du 26 au 29/04 au TNM La Criée.