The Lobster de Yorgos Lanthimos

Retour de Cannes

Retour sur terre

 

Du 13 au 24 mai, la Croisette a accueilli la soixante-huitième édition du Festival de Cannes, rendez-vous incontournable s’il en est de tout ce qui touche, de près ou de loin — souvent de loin ­— à l’industrie cinématographique. Petit tour d’horizon d’une édition en demi-teinte.

 

Soixante-huit ans après sa création, le Festival de Cannes reste une aventure orgiaque, voire mystique, qui continue d’intriguer tout passionné de cinéma, dont le parcours, durant ces quinze jours, s’apparente souvent plus à un sport de combat qu’au doux plaisir de spectateur. La ville, d’ordinaire peu célébrée pour son dynamisme, s’immerge en mai dans une anachronique échappée du temps. Cannes n’est plus désormais la grande messe annuelle du cinéma mondial, mais bel et bien un pantagruélique marché du film où l’épicurisme a fait place au cynisme. Au passionné exigeant d’y trouver ses marques, et surtout ses films, dans un torrent de propositions bien inégales. Las, la tendance se confirme : derechef, ce n’est guère au sein de la Compétition Officielle que nous sommes parvenus à trouver l’œuvre sismique propre à bouleverser notre regard sur le cinéma. Passons sur le hold-up des très surestimés opus hexagonaux — Dheepan de Jacques Audiard (et sa morale, en filigrane, un brin rance), les navets de Maïwenn (Mon roi) et Donzelli (Marguerite & Julien), seul s’en sort presque honorablement La Loi du marché de Stéphane Brizé. Gus Van Sant déçoit fortement, avec un Sea of Trees franchement raté, Nanni Moretti retrouve certes de sa verdeur perdue, mais sans convaincre totalement, avec Mia Madre, et les opus de Matteo Garrone (Tale of Tales) et Paolo Sorrentino (Youth) s’enfoncent avec délectation dans les marécages de la nanardise. Fort heureusement, les excellents The Lobster du Grec Yorgos Lanthimos et The Assassin du Taïwanais Hou Hsiao Hsien ont permis de remonter une Compétition Officielle en petite forme. C’est à nouveau dans les sélections parallèles que le cinéma trouve ses meilleurs champs d’expression. Nous avons largement développé dans un précédent article tout le bien que nous pensions de la programmation de la Quinzaine des Réalisateurs, reprise en partie à l’Alhambra (les extraordinaires Mille et une nuits de Miguel Gomes ou Fatima de Philippe Faucon), mais la sélection Un certain regard a, pour sa part, offert de belles projections, d’An, film raffiné et inhabituel pour Naomi Kawase, à Vers l’autre rive, dernier opus magnifique de Kiyoshi Kurosawa, débordement sans fard du film d’épouvante, qui obtiendra le Prix de la Mise en Scène. Enfin, soulignons l’extraordinaire travail de l’ACID, l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion, dont le travail en matière de défrichage cinématographique reste incontesté, qui proposait cette année une sélection exigeante et sémillante, avec en l’occurrence le savoureux Pauline s’arrache d’Emilie Brisavoine ou le somptueux Volta a Terra du Portugais Joao Pedro Placido.

Emmanuel Vigne