Brut de Marta Torrents © Francis Rodor

Retour de scène | Les Élancées 2021

Beaux gestes

 

L’édition de poche des Élancées 2021 fut un très bel exemple de la résistance active de certains lieux culturels en cette période de fermeture imposée des théâtres.

 

 

Souvent injustement oublié dans son appartenance à la Biennale Internationale des Arts du Cirque, le festival des arts du geste Les Élancées s’impose depuis plus de vingt ans comme un dénicheur de talents et un partenaire indéfectible de certaines compagnies nationales et internationales de cirque.

Imaginé par Anne Renault, il constitue le point culminant de la saison culturelle de Scènes & Cinés, en s’appuyant sur un postulat unique : faire rayonner, sur les six communes du territoire Istres Ouest Provence, des spectacles tout public mettant en scène deux disciplines qui se font les yeux doux et se chamaillent depuis des années : le cirque et la danse.

Une pandémie n’allait pas réduire cette manifestation au silence, cela aurait été contraire à l’engagement de cette équipe et sa volonté de trouver des échappatoires à la fermeture des structures culturelles.

 

Une édition pas totalement sans public

 

Certes, les 15 000 spectateurs qui se retrouvent habituellement dans les salles et sous les chapiteaux n’ont pas pu assister à la soixantaine de représentations initialement prévues, ni les scolaires à la vingtaine qui leur est généralement adressée.

Mais maintenir l’édition des Élancées était un devoir vis-à-vis des partenariats amorcés depuis des années et du travail réalisé en continu avec la jeunesse et les institutions scolaires. Les Élancées constituent en effet un temps fort dans leur année, caractérisé par des actions collectives avec les artistes, qui donnent souvent lieu à des spectacles participatifs présentés durant le festival.

Si les directives nationales n’autorisent pas les sorties pédagogiques en extérieur, rien n’interdit la venue d’artistes en milieu scolaire ; c’est donc en étroite collaboration avec l’Éducation nationale que 460 enfants et jeunes ont pu assister à dix-huit interventions artistiques dans les écoles et collèges, mais également en instituts médico-éducatifs, centres sociaux, maisons d’enfants, associations sportives…

Ces immersions en milieu scolaire ont donné lieu à de belles rencontres, à l’instar du retour de la danseuse de hip-hop Maëva Deyrolles dans son ancien collège (Miramaris à Miramas) avec Yooo !!!, la dernière création d’Emanuel Gat.

Un bel exemple de transmission d’expérience, qui montre l’importance des actions artistiques et de médiation en milieu scolaire afin de susciter des vocations. À Istres et ses environs, la danse rivalise ainsi avec le foot, et l’école de formation professionnelle du danseur interprète contemporain Coline est un modèle de réussite. Des étudiants de Coline étaient d’ailleurs présents en salle pour plusieurs spectacles des Élancées.
À Grans, c’est le chorégraphe Hervé Koubi qui a pu échanger avec les scolaires durant la résidence de sa nouvelle création, Hippocampe(s). Tandis qu’à Istres, des élèves d’écoles élémentaires ont découvert des extraits du spectacle At home de la chorégraphe Laurence Marthouret. Un masque inclusif (transparent) a même été offert par l’Éducation nationale afin qu’une comédienne puisse jouer dans une classe.
Bien sûr, cette édition particulière a mis un pied dans le numérique : 560 personnes se sont ainsi connectées pour la retransmission en streaming du spectacle Inventaire de Josette Baïz, en partenariat avec Provence en Scène. Si Inventaire reprend le procédé proposé par Olivier Dubois dans son solo Pour sortir au jour, les deux jeunes danseurs, qui n’ont pas le charisme de Dubois, peinent un peu à nous captiver avec leurs souvenirs. Quelques beaux moments toutefois et une fraicheur qui fait un bien fou.

 

Un soutien aux artistes et aux techniciens

Si, cette année, il était impossible de hisser les toiles des chapiteaux ni d’accueillir les spectacles étrangers, il n’était pas question de lâcher les artistes et les compagnies invitées, notamment les compagnies locales qu’Anne Renault a toujours soutenues. De fait, cette vingt-troisième édition s’est transformée en rencontres professionnelles au sens large.

Ce rendez-vous incontournable pour Scènes et Cinés, récemment labellisée Scène conventionnée d’intérêt national « Art en Territoire », a accueilli 300 professionnels de la culture (programmateurs, partenaires éducatifs, sociaux, culturels, institutionnels…) pour 883 entrées. Dix spectacles (dont cinq créations), douze représentations, cinq résidences et trois parcours professionnels ont permis de faciliter les repérages imaginés en partenariat avec la BIAC, Occitanie fait son cirque en Avignon et le Cercle de Midi / Réseau Chaînon.

La valeur ajoutée pour les compagnies se situait à plusieurs niveaux, économique et humain. En effet, outre le fait de leur donner la chance d’être vues par des programmateurs afin d’être diffusées les saisons prochaines, il s’agissait de sortir de l’invisibilité et de bénéficier d’une reconnaissance du milieu artistique que le ministère de la Culture et l’État leur refusent.

Des artistes avides de retrouver le plateau, comme Raphaël Vuillard, musicien et directeur artistique de Derviche (Bab Assalam invite Sylvain Julien) enfin « sorti de sa grotte », ont connu la joie de tous se retrouver, de reprendre les automatismes d’un montage, de rencontrer l’équipe technique du lieu… Sans compter cette petite fenêtre sur l’avenir que constitue le fait de jouer devant des programmateurs.

Laurence Marthouret, chorégraphe et directrice artistique de la compagnie TransS, présente le festival comme une parenthèse, une petite « anesthésie » dans cette violence que les artistes traversent.
Le chorégraphe Hervé Koubi ne cache pas son émotion : « Ce qui, au départ, devait être un “simple” travail de diffusion accompagné d’action culturelle, est devenu une semaine entière de résidence, de présence continue au plateau permettant le travail de recherche, d’adaptation, d’échange indispensable à la création. »

Cette décision forte, engagée et responsable de continuer à encadrer, promouvoir, partager, donner à voir traduit toute la détermination et l’engagement des théâtres de Scènes et Cinés.

 

Des créations à suivre

Quelques beaux spectacles se sont détachés du lot parmi les dix présentés. Nous retiendrons ceux qui nous ont séduits en invitant un troisième personnage dans le duo danse-cirque : la musique. Devenue de moins en moins additionnelle dans ces deux disciplines, elle s’impose désormais souvent comme un élément porteur du spectacle.

C’est le cas du Puits de la compagnie Jupon, dont la fabuleuse musique de Matthieu Tomi épouse toutes les cassures de la dramaturgie en passant de l’électro aux chants religieux, d’une influence afro à de sublimes solos de basse.

Le fils d’Emanuel Gat, Michael Gat, signe quant à lui une musique électro pop qui apporte une poésie joyeuse à Yooo !!!.

Si à Fos-sur-Mer, la salle enthousiaste a vibré sur la musique de Hakim Hamadouche pour Yellel de Hamid Ben Mahi (compagnie Hors série), c’est celle de Brut de Marta Torrents qui nous captiva tant elle faisait office de deuxième peau à la danse acrobatique ou aux figures clownesques revisitées de ses interprètes.

On se réjouit à l’avance de voir, dans un temps que l’on espère rapide, tous ces spectacles dans les théâtres de la région et dans l’édition 2022 des Élancées.

 

Marie Anezin

 

 

Les Élancées 2021 se sont déroulées du 10 au 19 février dans les salles du réseau Scènes & Cinés Ouest Provence.

Pour en (sa)voir plus : https://www.scenesetcines.fr/wp-content/uploads/2021/01/Programme_Elancees-2021-pro.pdf