Retour Les Rafles d’un siècle à l’autre par le collectif Manifeste Rien
De voir de(s) mémoire(s)
Comment Marseille, durant l’hiver 1943, est-elle devenue ce lieu tragique où coïncida un acte de guerre et un projet d’administration municipale ? À cette question, faisant toujours l’objet d’une enquête, le collectif Manifeste Rien répond avec brio.
Dans Les Rafles, d’un siècle à l’autre, l’on entend bien comment le langage utilisé pour parler d’assainissement populaire a su, avec le temps, s’adapter en novlangue de dépliant publicitaire. La volonté de « vider la ville de la punaise, de l’infamie et, sur les ruines de ces vieilles masures, bâtir une ville nouvelle », comme le préconisait l’architecte Gaston Castel dans les années 20, est toujours aussi présente dans le projet étatique de rénovation d’Euroméditerranée pour « soigner l’incurie de Marseille, ses blessures et en faire un territoire d’expérimentation de l’aménagement urbain. »
Du mépris d’hier à la morgue d’aujourd’hui, il y a une constance. Les Rafles…, en remettant les choses dans l’ordre, en liant destins individuels et grande histoire, s’avère nécessaire pour informer le citoyen marseillais d’aujourd’hui, le rendre attentif aux mutations urbaines donc sociales, à l’en émanciper dans l’espoir qu’il s’empare de la question et bouscule des projets dont il est exclu en tant que peuple.
C’est du théâtre d’éducation populaire, souple, rapide, affuté comme la comédienne Virginie Aimone, qui « tient » véritablement la salle, capable de restituer, entre autre, les bribes d’un art de vivre dans la convivialité au soleil du Vieux-Port, une sombre réunion de notables obsédés d’hygiénisme et rudoyés par un truand pragmatique, un perdreau d’avant guerre, con et réglementaire, ou encore un amour clandestin écrasé dans les rouages de la collaboration.
Un théâtre pauvre aussi ; il n’y a pour accessoires qu’un fauteuil, un manteau, quelques effets de lumière, un peu de son, de fumée et un corps qui accompagne le texte, le ponctue plastiquement. Une scène chasse l’autre dans l’urgence du récit, en quatrième vitesse car ce n’est pas un théâtre qui pense, c’est un théâtre qui dit, qui expose les faits, qui éclaire les ténèbres de l’histoire, s’adressant peut-être plus à un interlocuteur qu’à un spectateur et dont l’intérêt ne doit pas faiblir, dont il faut s’assurer qu’il est toujours là. Et ça marche, on est vraiment imprégnés de cette histoire glaçante en quittant la salle et de la manière dont elle résonne tristement dans notre présent.
Dans ce petit et chaleureux Théâtre de l’Œuvre, qui évoque l’usure du temps — bois patiné, velours rouge élimé, un peu poussiéreux avec ses lumières paresseuses comme une guirlande oubliée sur la place d’un village —, Les Rafles d’un siècle à l’autre et les voix anonymes qu’il convoque en devenait très émouvant sans pour autant perdre sa force de dénonciation.
Olivier Puech
Les Rafles d’un siècle à l’autre par le collectif Manifeste Rien était présenté du 2 au 4/02 au Théâtre de l’Œuvre.
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