Un entre nous sans entre-soi

Quand on se retrouve entre nous chacun reprend sa place : le titre interpelle… Intrigués par celui-ci, et par le casting de la nouvelle création du Collectif K.O. com, dont nous sommes familiers à Marseille depuis dix ans, nous voici aussi interpelés…

Après avoir passé un long couloir sombre et dense, avec pour seul éclairage de petites lumières bleues, nous nous voyons accueillis par deux acteurs, qui nous demandent de dire nos noms à haute voix, nous assignant en fonction une place, parfois en salle, parfois sur la scène. L’accueil est extrêmement respectueux, mais décontenance, on doit bien l’avouer, rappelant de loin en loin quelque situation administrative faisant malheureusement l’actualité. Mais nous n’en resterons pas à ce rapprochement, cela serait paresse.

Sur le plateau, la scénographie se révèle presque nue : seuls des traits marqués à la craie vont spatialiser le(s) plateau(x) de jeu et vont faire se succéder des architectures imaginées, un peu à la manière du Dogville de Lars Von Trier. Six interprètes, acteurs et/ou danseurs, sont au plateau. L’un d’eux ne voit pas. Nous si. Mais ce que l’on va voir, ce n’est pas qu’eux, c’est aussi l’un ou l’autre de nous. Tour à tour et tout au long de la pièce, on propose à certains de participer à un match de foot au ballon invisible (!), à d’autres de coopérer dans un jeu de lancer de marionnette-enfant (!!), de se joindre à une dégustation, de présider un repas, tandis qu’on pose des questions intimes à d’autres encore… Les situations varient et glissent, les joueurs aussi. On croit reconnaître et puis plus : on cherche, on se voit en train de prendre des indices et en train de chercher à comprendre, on tâtonne. Parce que les situations nous sont familières, parce que ce titre revient inlassablement dans notre tête sans qu’il soit jamais énoncé sur le plateau, on continue de chercher la clé de voûte de ce mystère qui se déroule sous nos yeux. Avec ces six interprètes aux énergies aussi différentes qu’heureusement réunies, Manon Avram signe ici une œuvre qui ne se contente plus d’être un spectacle, ni d’offrir une forme artistique à un postulat sur le monde énoncé a priori. La chorégraphe qu’elle est devenue nous emmène plus loin que dans nos réflexions, dans un questionnement qui se prolongera bien au-delà du temps de la représentation. La magie reste d’avoir su nous offrir avec tant de douceur et d’humilité une intelligence au monde aussi sensible qu’impertinente, nous troublant par la mise aux aguets ainsi provoquée sur notre quotidien.

Joanna Selvides

Quand on se retrouve entre nous chacun reprend sa place par le Collectif KO.com était présenté le 19/01 à KLAP, Maison pour la Danse.
Rens. : www.collectifko.com