Retour sur Héroïne(s) #3 – Être ou ne pas par la Cie Les Passeurs présenté au Théâtre Joliette
Employée du moi
Qualités : motivée, motivante, motivable.
Défauts : trop motivable, trop motivante, trop motivée.
Tête-à-tête avec la troisième addiction choisie par la compagnie Les Passeurs : la relation fusionnelle d’une Héroïne avec son tripalium, instrument de torture plus connu sous le petit nom de travail.
Elle l’aime, elle l’adore, c’est fou comme elle l’aime.
Elle, c’est une jeune femme dynamique, sourire écrasant, répondant au titre de « manager d’autrui à manager ».
Elle, droite comme un caporal, prête à vendre le moindre petit bout de son énergie au profit de la vitalité de son amour d’entreprise. Les termes techniques des tâches à accomplir sont débités comme un programme d’activités pseudo festives d’un club de vacances.
Plus qu’un vecteur d’émancipation financière, le travail représente ici une extension de sa volonté d’exister.
Cependant, comme toutes les batteries, Elle finit par s’épuiser. D’énergie, puis de sens. Obsolescence programmée d’un destin qui jusque-là échappait à sa propriétaire.
Place à la chute, à la découverte de soi par l’exil, à la poésie brute.
En résidence longue au Théâtre Joliette, la compagnie Les Passeurs, après l’alcool et l’amour, vient clore son triptyque autour des dépendances avec le travail.
Sophie Lannefranque propose une réflexion sur l’impact du vocabulaire d’entreprise comme mantra. La verbalisation de ce dernier permet une prise de conscience de la violence quotidienne emmagasinée. Sur l’injonction à la performance, ici féminine, portée jusqu’à l’épuisement et l’inévitable remplacement par une plus neuve, plus vive, plus moderne. « Plus », « mieux », « encore plus mieux » et autres superlatifs couvent des implosions à retardement.
La mise en scène de Lucile Jourdan souligne ces propos en choisissant de déplacer crescendo l’humain du devant de la scène au dehors de la salle.
Le mécanisme de l’addiction est redoutable, il pioche son espérance de vie dans un réservoir de hontes. Hontes elles-mêmes nourries par notre humiliante conscience à savoir où nous en sommes. Le besoin compulsif d’être utile ne noie qu’un temps l’abyssale question du « qui suis-je ? ». Or, personne ne trouve sens à son être dans une boîte à outils. Laissons « le faire » aux objets et « l’être » à l’humanité.
Nadja Grenier
Héroïne(s) #3 – Être ou ne pas par la Cie Les Passeurs était présenté du 11 au 14/02 au Théâtre Joliette.
Pour en (sa)voir plus : www.compagnielespasseurs.fr