Rétrospective Carl Theodor Dreyer
L’empire de la passion
L’Institut de l’Image propose à Aix-en-Provence une rétrospective des principales œuvres du cinéaste danois Carl Theodor Dreyer, de Vampyr à Ordet, en passant par Gertrud et La passion de Jeanne d’Arc, étape essentielle du voyage initiatique de tout cinéphile.
S’il fut un souverain au royaume du Danemark, il s’agit bien de Carl Theodor Dreyer. Le cinéaste scandinave a largement participé, à l’instar de Griffith, Renoir, Lang ou Einsenstein, à hisser cet art nouveau, initialement considéré comme simple phénomène de foire, au rang d’art majeur. Le soin extrême que Dreyer apportait à la réalisation de ses films lui a ainsi permis de tisser une œuvre singulière, réinventant sans cesse le cadre, la photographie, la narration et le montage. D’un abord superficiellement austère, ses longs-métrages apparaissent rapidement fourmillants d’inventivité, éclatants de passion, renversants de pertinence. L’Institut de l’Image nous offre l’occasion de les (re)découvrir en pellicule, passage obligé pour mieux appréhender la force poétique de son cinéma. Avec une mention particulière pour Vampyr et La passion de Jeanne d’Arc, que leur auteur considérait comme ses plus aboutis. Réalisateur peu prolifique (moins d’une quinzaine d’œuvres en un demi-siècle d’activité), Carl Theodor Dreyer est passé maître dans la représentation du portrait à l’écran. L’âme des personnages se révèle alors à la lumière de leurs traits, des moindres courbes de leur visage, jusqu’aux imperfections dessinées par le temps. La réhabilitation, donc l’immortalité, de la Pucelle d’Orléans s’offre au spectateur sous les rides d’une Renée Falconetti saisissante, filmée jusqu’à sa plus profonde intimité. L’art du cinéaste est à ce titre de détourner une approche classique de ses sujets. Pour qui s’attend dans Vampyr à découvrir une énième déclinaison du thème, le film, par son inventivité et sa poésie, devient tout, sauf un classique du genre. Comme dans la plupart de ses œuvres, Dreyer y développe une interprétation mystique puissante, au sein de laquelle l’homme conserve toute sa place, mais autrement. L’activité alimentaire, et majeure, du réalisateur — le journalisme — imprégna sans doute fortement sa démarche artistique. Adepte du grand écart, il trouve son point d’équilibre entre les extrêmes, entre l’imaginaire et le réel, entre le muet et le parlant, dont il s’affranchit parfaitement, contrairement à de nombreux autres cinéastes danois. Son chemin de vie chaotique le conduisit loin des sentiers battus du cinéma, ce qui lui permit sans doute de longues périodes de mûrissement. Enfin, la photographie de ses œuvres est telle qu’elle l’impose comme l’un des plus grands cinéastes avant-gardistes. Chaque film fourmille de trouvailles stylistiques majeures, insufflant au propos une majesté visuelle que seule la pellicule peut rendre. L’équipe de l’Institut de l’Image propose d’enrichir cette rétrospective des interventions de Charles Tesson, enseignant et rédacteur aux Cahiers du Cinéma, auteur d’une thèse sur Vampyr, ainsi que de la projection du film d’Eric Rohmer sur le cinéaste danois. Une rencontre et une programmation qui s’inscrivent parmi les plus beaux moments de la vie d’un cinéphile.
Emmanuel Vigne
Du 9 au 22/02 à l’Institut de l’Image (Auditorium de la Cité du Livre, 8/10 rue des Allumettes, Aix-en-Pce). Rens. 04 42 26 81 82 / www.institut-image.org