RIAM 09 – Now Future
L’Interview : Philippe Stepczak
Aussi sûr que le présent dessine le futur, le festival RIAM se fait le reflet de son époque. C’est l’évidence : si nous vivons actuellement une période de flottement à l’échelle sociétale, la création artistique n’en demeure pas moins fascinante. En témoigne cette neuvième édition montée par deux activistes qui, on le souhaite de tout cœur, continueront longtemps de nous faire partager leurs points de vues.
Pourquoi ce titre, Now Future ?
Il y a deux ans, nous avions monté une édition intitulée Low Tech autour des pratiques artistiques actuelles utilisant les anciennes technologies, sans intervention de l’outil informatique. Avec cette nouvelle édition, on a voulu passer le cap de la décennie, sachant qu’il faut toujours trois/quatre ans pour la digérer en matière artistique. Nous voulions dresser un constat des pratiques artistiques en 2012. A savoir que pas mal de gens qui sont passés par des pratiques laptop, en musique ou en arts plastiques, sont revenus à des mélanges technologiques hybrides, entre analogique et numérique.
Peut-on y voir une perte de la notion du temps ?
C’est plutôt le contraire. Nous vivons une crise non seulement financière, mais aussi esthétique. Beaucoup de gens revisitent ce qui s’est fait. Cette édition est l’occasion de partir enfin à l’aventure du futur, comme on a pu le faire dans les années 60. Allons-y ! Le futur, c’est maintenant ou il n’y en aura pas. D’où le No, en référence au mouvement punk. C’est aussi la question que l’on se pose, en tant qu’organisateurs, à la veille de 2013. On ne sait pas si le festival RIAM perdurera l’an prochain. D’autres structures sont dans la même situation. C’est le point d’interrogation.
Une page est-elle en train de se tourner ?
Du côté de la création, je ne sais pas. Mais côté économie, la crise aidant, les subventionneurs vont plutôt aider les grosses structures.
Pourtant, artistiquement, on a parfois ce sentiment de vivre une époque formidable…
Oui, mais nous assistons également au déclin de l’Empire occidental. Il est donc d’autant plus important aujourd’hui de créer un dialogue avec les continents émergents pour ne pas reproduire les erreurs passées. Mais aussi que cela nous permette de se tourner vers d’autres esthétiques et d’autres fonctionnements. Notre festival est à voir comme un constat sociologique et sociétal. Chaque mouvement s’inspire de l’esprit ambiant d’une époque. Les crises financières, politiques et éthiques influencent les créateurs dans leurs démarches et leurs discours. On ne fait pas de l’art pour l’art, on fait de l’art en général.
Dans son ouvrage Rétromania, Simon Reynolds soutient que « le futur est toujours là, quelque part ». Appartiendrait-il aux cultures extra-occidentales ?
Oui. On a passé une période de globalisation, avec Internet, etc. On ne fait plus de l’art français, de l’art européen, de l’art occidental. Une vision globale est nécessaire pour créer, même s’il est important d’avoir sa propre personnalité.
Ça ressemble au début du siècle dernier, lorsque des artistes européens se sont imprégnés d’œuvres africaines exposées dans les galeries parisiennes…
Les surréalistes, les cubistes et les dadaïstes ont effectivement été visionnaires dans les dialogues entre les cultures.
La notion de futur n’a donc pas perdu son sens.
De toute façon, le futur, on y va. Après, savoir comment… Quand j’étais petit, je pensais qu’à l’heure actuelle, on pourrait se téléporter, qu’on aurait tous des navettes… C’est aux créatifs d’imaginer le futur, de nous faire rêver d’un autre futur. Avec leur regard, les artistes sont là pour questionner et développer un regard critique sur le futur que l’on nous propose.
Le détournement est-il un autre axe de cette édition ?
Pas particulièrement. Le détournement en musique et dans l’art contemporain est très ancien. Pour en revenir au début du XXe siècle, Picasso utilisait des coupures de journaux pour les incorporer dans ses toiles. Je pense aussi à Marcel Duchamp et son Urinoir. C’est la même chose à l’heure d’Internet : on télécharge afin de réutiliser les données de chacun sans forcément les citer. Michaël Sellam, invité dans le cadre du festival, utilise une tronçonneuse afin de lui faire jouer Happy Birthday To You, chanson dont les droits ont été achetés par Universal… Est-ce que l’œuvre appartient à quelqu’un ? La question de la propriété est posée. Plus généralement : vit-on pour soi, ou pour l’humanité ?
Penses-tu que le phénomène d’archivage parasite la création ?
Non. L’archive est là pour être consultée, mais ne doit pas être un fond de commerce. Par contre, et d’autant plus avec Internet, on ne peut plus dire : « Je ne savais pas que ça existait ». J’espère que cette période aboutira sur un renouvellement de conception de vie. On a connu, au début des années 2000, un essor technologique, avec pas mal d’opportunistes, à l’instar des start-up, qui se sont rapidement modérées ou effondrées. Ces périodes de crises sont également très propices aux créateurs, afin de développer de nouveaux concepts. C’est un mal pour un bien. Aujourd’hui, nous vivons une période de stand-by. On s’économise jusqu’au prochain boum. Là où l’on changeait de logiciels tous les six mois, on préfère désormais le pousser jusqu’à ses dernières limites et le coupler avec d’autres tout en peaufinant notre utilisation. Il faut ralentir la frénésie économique, pour prendre du recul et digérer les révolutions technologiques.
Tu associes donc la notion de futur et d’évolution technologique.
Oui. Mais il faut prendre les technologies pour ce qu’elles sont. Elles ne font pas tout le futur. La technologie doit évoluer de pair avec la pensée philosophique. L’être humain n’est pas qu’une machine. De toute manière, tout s’influence. Le fait d’avoir accès à tout un tas de choses nous fait prendre conscience de notre place dans le monde, et considérer ce que l’on peut faire pour l’humanité.
Propos recueillis par Jordan Saïsset
RIAM 09 – Now Future : jusqu’au 28/10 à Marseille.
Rens. 09 52 52 12 79 / www.riam.info