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Tout en se jouant des frontières de la pop culture au sens large, le RIAM Festival convoque plusieurs générations autour de la création multimédia et profite de l’occasion pour questionner, dans le même geste, la présence des femmes sur les scènes d’ici et d’ailleurs.
Malheureusement, de nos jours, il n’est plus souvent question que d’esthétique. Comme si l’esthétique, autonome, se suffisait à elle-même pour faire le tour d’un projet artistique, décrire une œuvre, en parler. Comme si l’esthétique, entité pure, ne découlait d’aucun processus. Comme si l’esthétique elle-même pouvait se couper du quotidien, se tenir à l’écart du vacarme du monde, alors enfermée dans une bulle qu’il conviendrait de ne pas salir avec nos préoccupations. Mais pourquoi donc dissocier le fond de la forme ?
Tout en évitant l’écueil d’un héritage cloisonnant en matière de conception artistique, les Rencontres Internationales des Arts Multimédia évoluent ainsi depuis quatorze ans en cherchant ce qui se trame derrière chaque projet, chaque pratique, chaque vision. Sans y apporter de conclusion hâtive. Sans y accoler une terminologie censée résumer toute la cosmogonie d’une création. Mais sans non plus trahir ses affinités : l’électronique, son impact sur la société, et tous les usages qui en découlent, musicaux, plastiques ou visuels. Une démarche qui lui permet de se renouveler à chaque édition. De partir à la recherche des nouveaux points de rupture aussi, et des nouvelles convergences. Plutôt que de rejeter en bloc, on préfèrera ici se réapproprier, mettre en branle, analyser. Une volonté synthétisée dans le fait de se faire croiser concerts et expositions, tables rondes et performances, dans une dimension intimement européiste appuyée par le prestigieux réseau Shape (pour « Sound, Heterogeneous Art and Performance in Europe »), duquel la structure organisatrice, Technè, fait partie.
La volonté décloisonnante des RIAM revêt bien des avantages : l’air de rien, dans le même geste, le festival s’offre une place de choix dans ces événements à part qui font se croiser naturellement différentes générations de différents milieux sociaux professionnels. L’enjeu est énorme. D’autant plus dans les franges de la pop culture, mouvance qui se prête volontiers à la glorification de sa propre histoire, et dont certains des acteurs ont du mal à lâcher le morceau, parfois crispés sur un temps révolu qu’ils sacralisent volontiers sous la forme d’une fable. Un petit jeu qui vire parfois à une certaine forme de conservatisme. En atteste, entre autres, cette obsession du « geste premier », de l’exception, du divin, de l’intouchable, palpable dans tant de documentaires musicaux destinés au grand public. Stigmate de la société du spectacle.
Ici, la dimension humaine, plus modeste, semble préconisée. Elle semble la clé vers une démocratisation réelle des pratiques, la clé contre toute confiscation, toute mise à l’écart. Evidemment, véritable laboratoire de notre société technologiste, la musique électronique occupe une place toute particulièrement dans les programmations du RIAM. On la retrouve aussi bien sous les mains de Ron Morelli que NSDos ou Toxe, Donarra, Bonaventure, Shlagga, Machine Woman, Phuong-Dan ou My Sword… On la retrouve aussi dans les relations étroites qu’elle entretient avec l’image via le collectif CHDH ou le travail minimaliste de Machine Woman…
Après avoir questionné les notions de passé, de futur, d’archivage ou de recyclage, l’équipe des RIAM désire cette année témoigner de son intérêt de longue date porté sur les questions de genre, et dresser par là même un état des lieux de la place occupée par les femmes dans la création. L’entreprise concerne tout le monde. D’autant plus dans des marchés à fortes consonances masculines qui contraignent bien souvent les artistes féminines aux seules postures autorisées par une société capitaliste assurément phallocrate. Sans forcément mettre en exergue une programmation naturellement mixte, ce sera le sujet d’une table ronde réunissant des acteurs d’horizons divers. « La société du cool serait-elle devenue rétrograde ? » La question est posée, elle est des plus bienvenues. De sexisme, il en sera question sur le terrain de l’Internet, celui de Chloé Desmoineaux, qui propose à travers sa performance Lipstrike de le dénoncer dans le milieu des gamers à l’aide… d’un tube de rouge à lèvre en guise de gâchette dans Counter Strike. Au-delà des symboles, il s’agira ici, aussi, d’éviter les fausses pistes et les impasses. « Utiliser des stats pour prouver que quelque chose est très patriarcal, c’est une idée vraiment blanche et occidentale. Partir du principe que l’on peut recueillir des données pour témoigner d’un phénomène complexe comme le sexisme dans l’industrie du disque est un pur délire », déclarait en 2015 la musicienne Toxe sur le site de la Red Bull Music Academy. Ainsi, vous l’aurez compris, le RIAM ne se contente pas de la surface. Bien au contraire : il la fait trembler par le sous-sol.
Jordan Saïsset
FOCUS
Donarra
Croire qu’en matière de composition, l’ère du tout computer et de l’obsolescence programmée aurait eu raison des machines, synthétiseurs physiques et autres boîtes à rythme, c’est se fourrer un doigt dans l’œil bien profond. En atteste le travail de Loïc Bodjollé, alias Donarra, qui dessine un monde à son image, tour à tour naturaliste et industriel, non sans références aux grandes heures de la techno/house analogique à la Drexcyia. Le résultat, minimal et immersif, met le feu aux poudres dès les premières mesures tout en restant profondément onirique. Membre (entre autre) du collectif marseillais Metaphore, point de chute local de tout ce qui se fait de meilleur en matière d’électronique en noir et blanc, Donarra fait preuve d’un savoir-faire originel habilement renouvelé, sur disque tout autant que sur scène. On vous en reparle dès que possible.
JSa
RIAM Festival : du 5 au 28/10 à Marseille et Aix-en-Provence.
Rens. : 09 52 52 12 79 / www.riam.info
Le programme complet du RIAM Festival ici