Plateforme généreuse
L’art est un joyau communautaire qui s’affranchit des frontières. Festival plus accueillant et anticonformiste que jamais, le RIAM — Rencontres Internationales des Arts Multimédia — nous enjoint à faire de la culture un espace de totale témérité. Les artistes européens à l’honneur font partie d’un surprenant réseau créatif où les possibilités de s’exprimer ont des supports pluriels, d’une technologie exceptionnelle. Cette seizième édition a tout bon !
La multiplicité est rarement aussi bien assumée : d’un point de vue artistique, technique et éthique, le RIAM Festival est un évènement parfaitement multiple. Au cœur de la ville, durant deux semaines, les scènes et les genres sont volontairement mélangés, les propos et débats toujours plus engagés, les performances poussées par la beauté du progrès. Sur le terrain, quelles bonnes graines le RIAM vient-il semer ? Des expositions d’art contemporain et digital (œuvres plastiques, supports audio et vidéo…), des productions physiques, des shows rythmés aux influences infinies, des voyages sensibles, sensoriels, poétiques jusqu’au bout de la nuit. Autre particularité du festival : l’art de la conférence et du regroupement d’idées en ateliers. Cette année, le collectif Filles de Blédards interroge la légitimité à être artiste et enfant d’immigrés. Un rendez-vous bouillonnant et supposément décisif puisqu’il laisse carte blanche aux intervenantes invitées. Discuter en toute conscience, sublimer la pensée collective, poser des mots sur les maux de notre société, c’est aussi faire fi de toute forme d’autorité !
D’une galerie ou d’une scène à l’autre, l’ode à la résistance et à la transformation se récite sans modération. Comme avec l’exposition Meraki du duo Voogt (à la Galerie Art-Cade – Grands Bains Douches de la Plaine), qui raconte la collecte musclée des déchets d’une plage crétoise. Comme avec le travail de Sara Sadik (galerie Voiture 14) qui reprend les codes d’un environnement ciblé — les quartiers Nord de Marseille — pour mieux les détourner dans un univers fictif où l’immersion virtuelle se fait le socle d’une insoumission perpétuelle. Comme avec l’ensemble des musiciens européens programmés qui, s’ils empruntent l’essence d’un genre défini (afrobeat, reggaeton, techno, rap, minimale), recherchent davantage à le « bricoler ». Les résultats sonores sont joyeusement métissés, échappant ainsi à la rigidité d’une catégorie et offrant un spectacle complet, une expérience proche de la transe. Des concerts et dj sets qui ont les (ré)percussions qu’ils méritent puisqu’ils ouvrent une conversation tantôt sensuelle tantôt psychédélique avec le public.
Jusque dans sa genèse, le RIAM est une histoire de liens et de réseaux humains : grâce à la plateforme Shape (financée par le programme Europe Créative), de nombreux jeunes artistes peu exposés médiatiquement bénéficient de subventions pour créer et diffuser leur talent plus aisément. Une aubaine qui permet au festival de mettre en lumière ces artistes européens et pluridisciplinaires pleins de promesse, mais aussi de leur offrir un tremplin concret vers la reconnaissance et la liesse. L’émersion culturelle devient ici une priorité, le fruit d’une sélection pointue qui se fait le reflet de la modernité. Le « genre » de ces fraîches bêtes de scène est d’ailleurs délibérément varié. Gloire aux artistes étrangers, androgynes ou girl-power qui chassent et croisent enfin leur identité en toute liberté.
Parce qu’il s’oppose aux gros festivals, certains devenus d’impersonnelles cash machines, et au business musical, le RIAM ouvre une fenêtre de tir — et de plaisir — plus étroite mais aussi plus intimiste et aventureuse. Ses objectifs sont légion : sortir des esthétiques populaires et des phénomènes de masse, « abasourdir » les fidèles et les curieux par ce vent de nouveauté — voire d’insoupçonné — qui souffle de façon inconditionnelle chaque année, œuvrer pour que ces rassemblements bigarrés et populaires changent enfin de ton. Grâce au RIAM, l’art se fond dans cette magnifique intention : celle de l’hybridation et de la réinvention. Promesse largement tenue puisque ces « pépites » protéiformes de toutes nationalités, ces productions désormais déculpabilisées s’offrent sans retenue aucune à une assistance fidèle, partageuse et passionnée. Cette année encore, le festival convoque le public autour d’une programmation peu banale : dans la vie comme dans l’art, l’émergence est une évidence !
Pauline Puaux
RIAM Festival : jusqu’au 26/10 à Marseille. Rens. : www.riam.info
Le programme complet du RIAM ici