A cœurs et à cris
Prenant le contre-pied des arts numériques auxquels on l’associe souvent, l’association Teckné concentrera sa septième édition des Rencontres Internationales des Arts Multimédia (RIAM) sur l’équivalent artistique du mouvement des « Décroissants » : le « Low-Tech ». Comme un éloge à la simplicité.
Réunissant lo-fi (basse définition), DIY (Do It Yourself), récup’ et bricolage, le Low-Tech est présent sous une forme ou sous une autre dans la plupart des pratiques artistiques actuelles. Le sujet s’avère donc plutôt vaste. La programmation de cette nouvelle édition des RIAM le sera également. On trouvera bien évidemment des manifestations portant directement sur la thématique du festival, telles que la conférence de Samon Takahashi et d’Emanuele Carcano (« Low Profiles, aperçu historique de l’esthétique lo-fi ») ainsi qu’une conférence et un documentaire sur le dub, low-tech de par son origine. Du côté des artistes, Gilles Pourtier évoquera la fascination pour le disque vinyle, tandis que les plasticiens Jessica Warboys et Aurélien Froment traduiront dans leurs œuvres l’idée de réappropriation des formes et des technologies (DIY). Ainsi, Warboys procèdera à un rituel autour des formes et des manifestations de la nature en utilisant des matériaux et des techniques triviaux, tandis que Froment incarnera un magicien pour susciter chez le spectateur des souvenirs d’événements qu’il n’a pas vécus (le « truc » qu’il utilise est manifeste et avoué : selon l’iconologie d’Aby Warburg, les images peuvent se décomposer en éléments visuels simples qui ont toujours eu du sens chez tous les hommes). Du côté des artisans low-tech contemporains, on trouvera le Dj Why Am I Mr Pink et son « mutant disco-punk », soit l’hybridation d’une musique d’entertainment (le disco) et d’une autre plus proche du lo-fi (le punk). Plus radicalement, *25* et Chaos Physique pourront témoigner de leurs accointances avec le lo-fi via leurs musiques contaminées par les grésillements du noise-rock. A l’instar de Durewar, dont la guitare à laquelle on a cloué une cymbale démontre que le bruit peut être un choix délibéré et judicieux. Tout comme le dépouillement : à leur manière, les artistes de poésie sonore présents pour la soirée L’Armée Noire apparaîtront sans fards, comme pour servir plus avantageusement leurs obscènes fulgurances. Mais qu’y-a-t-il de mieux pour comprendre la thématique des RIAM qu’un exposé du low-tech par les low-tech eux-mêmes ? Ainsi de Yann Leguay qui témoigne de la possibilité de graver un support vinyle à la main au moyen d’un matériel trash. De même, en choisissant de sortir leur dernier album uniquement en vinyle, les Sister Iodine signent leur ralliement à l’idéologie lo-tech, surtout que cet opus au bruitisme nihiliste les met radicalement à dos de leurs anciens fans. Et ce n’est pas qu’une pose : leur façon de torturer leurs instruments et de perdre le contrôle de leur son dans un déluge sonore en fait d’authentiques artistes lo-fi. Enfin, nul doute que Samon Takahashi et Vincent Epplay convaincront les réticents : du ventre de vieilles machines indomptables éclora une musique qu’on n’avait jamais entendue. C’est ainsi qu’en partant du plaisir décadent de l’arrière-garde technologique, les RIAM nous emmèneront à l’avant-garde de la musique elle-même.
Texte : Jonathan Suissa
Photo : Jessica Warboys
RIAM Low-Tech : du 25/02 au 6/03 dans divers lieux de la ville (voir programmation complète dans l’agenda). Rens. 09 52 52 12 79 / www.riam.info
NOTRE SELECTION
Yann Leguay
La performance précédant le concert de Sister Iodine proposera rien de moins que d’assister à la marche d’une « fabrique » musicale comparable à une forge : une pièce brute (ici un disque vinyle vierge) est travaillée à l’aide d’outils sulfureux (cutters, scalpels, et autres pointes acérées…). Donné à voir grâce à une caméra dont l’objectif est braqué sur l’opération, le résultat est un concert en live, mélangeant les bruits des outils (branchés sur des micros amplifiant leurs contacts avec le disque) et le son transmis par la platine tandis qu’elle continue à tourner. Le son du diamant évolue selon le travail des outils, traduisant en musique une alternance d’entailles récurrentes et de scratches plus irréguliers. Les trames ainsi accumulées revêtiront progressivement les contours d’une electronica minimale et bruitiste étonnante.
Jonathan Suissa
_Le 25/02 à Montévidéo
Sister Iodine
Trio de multi-instrumentistes (guitare, batterie, bidules électroniques), ce mythique groupe de noise des années 90, souvent associé à Sonic Youth, s’est reformé en 2004, même si ses membres jouent le plus souvent dans d’autres projets (Antilles, par exemple, ou Eric Minkinnen en solo, participant à la dernière pièce de théâtre produite par l’Embobineuse, Si l’amour ne suffit pas). Leur avant-dernier album, Helle, sorti en 2007, lorgnait un peu vers le psychédélisme électro de Black Dice. Le dernier, Flame Desastre (« Flemme des astres », en franglais…), sorti l’an dernier uniquement en vinyle chez Mego (édition limitée à 500 exemplaires), porte bien son nom : les « Sister » semblent tourner en rond dans le noir et être dévorés par le feu pour livrer une musique d’un nihilisme flagrant. Devant un tel spectacle, un peu comme à Data, certains seront en transe, les autres seront circonspects, bailleront et passeront leur soirée à faire des bises…
Jonatha Suissa
_Le 25/02 à Montévidéo
Samon Takahashi et l’esthétique lo-fi
Le musicien Samon Takahashi (GOL) sera présent pour deux soirées : d’abord pour une performance sonique avec Vincent Epplay aux commandes d’antiques machines à bruits imprévisibles, puis pour une conférence en compagnie d’Emanuele Carcano à propos de l’esthétique lo-fi. La performance aura lieu le même soir que Chaos Physique (le groupe d’un membre des mythiques Faust et Ulan Bator), et surtout elle est programmée par l’Embobineuse. Ce qui n’est pas fortuit, cette dernière s’avérant le véhicule marseillais d’une esthétique dont Samon, ses camarades de GOL ou les Franco-Allemands de Faust (début 70’s) sont les dépositaires : le rock expérimental de bricolage. Valises de matériel dévernies et dégondées, platines jaunies, enceintes énormes et crépitantes, et fonctionnement alternatif en sont les attributs incontournables. Artiste contemporain et « ingé » son de pointe à la ville, Samon pourrait tout de même aisément justifier son goût pour la basse définition : fouetter de vieux synthés pour les faire rugir est un plaisir simple mais intemporel.
Jonathan Suissa
_Le 26/02 à l’Embobineuse et le 27 à la Compagnie
Soirée L’Armée noire
Avec La France Pue, l’insolent Charles Pennequin fait de sa propre vie de gendarme une performance. Mais avant tout, il est de ceux qui posent sur le monde un regard décalé, non pas celui du rêveur lyrique, mais plutôt celui, lucide et sarcastique, qui fait du malaxage des mots un acte incisif et éminemment caustique. Consacrée à la subversive maison d’édition Al Dante, la soirée lui associera d’autres chantres de la poésie trash : David Sillanolli, qui baigne dans le dégoût de soi et l’humour scabreux, voire scatologique, ainsi que le nihiliste Sylvain Courtoux et Emmanuel Rabu, pour une performance sobrement intitulée Vie et mort d’un poète de merde. Les « psychographistes » de Liquide de la Tête iront de leur performance musicale, tout comme Pakito Bolino (Le Dernier Cri), qui ne manquera pas d’agrémenter son live machines (accompagné par le percussionniste Ahmad Compaoré) d’objets filmiques et graphiques du meilleur « mauvais goût ». Un déluge de perversités artistiques risque bien de s’abattre sur l’Embobineuse, qui en a vu d’autres, il est vrai.
Joanna Selvidès
_Le 27/02 à l’Embobineuse
Soirée Dub
La soirée débutera par la projection du documentaire Dub Echoes. Très complet, le film retrace en détails le processus de création et l’histoire du dub, en convoquant aussi bien les pionniers du style — des remixeurs jamaïcains — que leurs émules occidentaux. Fruit d’accidents et d’expérimentations sonores, le dub naquit chez des bricoleurs de génie qui, du fond de leurs minuscules officines, façonnaient une musique hypnotique. Cette méthode de travail s’est perpétuée à travers de multiples courants, si bien que la table ronde qui suivra la projection ne sera pas de trop pour en relever l’influence jusqu’aux musiques actuelles. Les artistes qui animeront le Cabaret Aléatoire en deuxième partie illustrent à merveille cette diversité. Qu’il s’agisse des collages sonores planants de Lena, du ragga posé sur des sons de console 8 bits de Soom T et Disrupt, des basses lourdes de Kode 9 ou de l’électro distordue de MC2, tout renvoie aux créations originelles de King Tubby et Lee Perry.
Thomas Vartanian
_Le 6/03 à la Friche la Belle de Mai