Robin Decourcy – Et pour finir, le début d’un long été à la Galerie HO
Fin de l’Histoire
Dans un espace réduit au plus strict minimum, l’artiste Robin Decourcy s’adonne durant quinze jours à l’exercice un peu fou de l’écriture d’un livre en direct. Et pour finir, le début d’un long été offre au regard du spectateur l’émergence d’un récit inspiré sans doute par les illustres plumes qui remplissent les étagères de la librairie Histoire de l’œil. Une œuvre d’art qui ne manque pas d’audace et de sincérité !
« Dans la condition anarchique, la société n’a que ses propres passions pour s’aider à méconnaître qu’elle ne vit jamais que suspendue à elle-même. »
(Frédéric Lordon – La Condition anarchique, Seuil, 2018)
Les meilleurs projets qui répondent au cahier des charges du LaboHO (1) sont en général ceux qui modifient l’espace de la galerie, ou ceux dans lesquels il arrive que l’espace « modifie » l’artiste et nous-mêmes. Nous avons encore tous en tête la performance d’Abraham Poincheval, qui avait passé quinze jours dans le trou creusé du sol de la galerie à lire des livres. C’est en règle générale ce qui nous arrive dans cette petite galerie de la rue Fontange, nichée derrière les rayonnages d’une des meilleures librairies marseillaises. Si d’aventure il vous fallait acquérir prochainement le dernier livre d’Annie Lebrun ou de Frédéric Lordon, poussez jusqu’à l’espace d’exposition pour y voir s’écrire sous vos yeux les lignes du livre que Robin Decourcy est en train de « rédiger » (au sens étymologique du terme, de mettre en mouvement, d’agencer). Chaque jour pendant deux semaines, l’artiste se met en situation au sein de la galerie, énonçant à haute voie les mots qui s’inscrivent immédiatement sur les murs.
Et pour finir, le début d’un long été, comme les premiers mots d’un roman, est une performance au dispositif simple, qui s’inscrit dans le temps, fait œuvre jusqu’au point final, jusqu’à la dernière page, et qui sonne au plus juste avec le contexte d’une invitation chez HO. L’artiste plasticien, performer et chorégraphe s’essaie donc à la littérature et relève le défi de la page blanche en direct, avec l’interférence du public puisqu’il répond à nos questions. Pas de repentir possible, pas de ratures, pas de feuille froissée jetée nerveusement à la poubelle, Robin Decourcy écrit sans filet et dicte à son programme de reconnaissance vocale le livre qui s’imprime au fur et à mesure. Écriture automatique, sensation du moment et passages fomentés, l’ensemble de l’œuvre sera cohérente et d’une belle langue, quitte à épurer les scories qui gâcheraient le texte final. Comme à son habitude, Robin Decourcy entre sous nos yeux dans un processus introspectif, poussant les limites du corps à la façon d’une Marina Abramovic au MOMA.
Mais à l’heure où Robin Decourcy écrit l’histoire, celle du LaboHO pourrait bien se voir ponctuée définitevement, puisque la région vient d’annoncer au directeur de la galerie HO, Gilles Desplanques, qu’elle se désengageait désormais du projet. Le désaveu n’était sans doute pas prévisible puisque HO vient tout juste de lancer, aux côtés de la galerie Art-Cade des Grands Bains Douche et de la plateforme Parallèle, un appel à participation pour un nouveau projet, bien nommé La Relève, dont la première édition devrait avoir lieu à l’occasion du Festival Parallèle en janvier 2019. La Relève s’adresse aux jeunes artistes ayant obtenu leur diplôme ces trois dernières années, proposant un espace d’exposition aux lauréats.
C’est sûr qu’il leur en faudra, du soutien, du courage et de la pugnacité, à nos jeunes étudiants fraichement diplômés de l’École d’Art de Marseille pour se faire une petite place dans une ville qui attire de plus en plus d’artistes de la scène nationale ou de galeries parisiennes et internationales ronronnant en attendant Manifesta en 2020. Si la fin des subsides pour HO sonne le glas du « saupoudrage subventionnel » (donner peu à beaucoup plutôt que beaucoup à peu), alors c’est la fin des petites structures à la programmation irréprochable et à la qualité des expositions exemplaire, qui font depuis plus de dix ans le terreau et la vitalité de l’art contemporain à Marseille. C’est peut-être le moment, à l’approche de la déferlante Manifesta, de leur maintenir la tête hors de l’eau… Mais laisser se noyer les plus faibles et les plus petits pour conforter les plus forts dans leur opulence n’est-il pas finalement l’air de la chanson que l’on entend depuis quelques mois ?
« C’est la guerre, une guerre qui se déroule sur tous les fronts et qui s’intensifie depuis qu’elle est désormais menée contre tout ce dont il paraissait impossible d’extraire de la valeur. S’ensuit un nouvel enlaidissement du monde. Car, avant même le rêve ou la passion, le premier ennemi aura été la beauté vive, celle dont chacun a connu les pouvoirs d’éblouissement et qui, pas plus que l’éclair, ne se laisse assujettir. »
(Annie Lebrun – Ce qui n’a pas de prix. Beauté, laideur et politique, Stock, 2018)
Céline Ghisleri
Robin Decourcy – Et pour finir, le début d’un long été : jusqu’au 27/10 à la Galerie HO (25 rue Fontange, 6e).
Rens. : 04 91 48 29 92 / www.galerieho.com
Notes
- Le laboHO est un concours annuel ouvert aux artistes pour réaliser une œuvre in situ au sein de la libraire-galerie Histoire de l’Œil. Ce projet est soutenu par le Conseil Régional Sud-PACA, la Ville de Marseille et le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône.[↩]