Roman-Photo au Mucem
Imagerie populaire
« Feuilleton à l’eau de rose », « lecture de type Voici », « album au romantisme exacerbé »… Si l’on en croit l’opinion collective, le roman-photo est un art qui, dans son essence propre, cultive le rejet. Et pourtant, ce procédé n’a, avec le temps, jamais cessé de se renouveler. Léger, comique, voire addictif, le roman-photo s’offre dans un style plus insolite et provocateur qu’il n’y parait. Au cours de l’exposition qui se tient au Mucem, la vignette finit même par nous monter à la tête ! Moment ludique assuré.
Un rendez-vous follement divertissant, qui tombe à point nommé. L’histoire du roman-photo, conte moderne tout droit venu d’Italie, ne se raconte pas forcément de façon linéaire ou structurée. À l’heure où la société demeure gouvernée par l’image, il semblait judicieux de rappeler que ce procédé artistique bien particulier avait quelques leçons à donner. Le Mucem s’en est chargé, en présentant une exposition pleine de relief et d’allégorie. En premier lieu, place à l’authenticité : les maquettes choisies ont été dépoussiérées pour mieux briller au présent. En « toile de fond », des histoires d’amour transposées au format BD, des bulles sentimentales à souhait, des coups de foudre figés aux protagonistes parfois grossiers. Évidemment, ici, le scénario ne prend de sens qu’au travers de vignettes bien plus esthétiques et sensationnelles que spirituelles ou intellectuelles….
Si le roman-photo entretient, dès ses débuts, une réputation « frivole » et évaporée, il ne cesse cependant de s’emparer de l’actualité culturelle. Les décompositions de films renommés viennent nous le prouver. Véritable adaptation de scénario illustré de clichés, le roman-photo nous emporte dans les histoires d’amour tantôt décousues tantôt extravagantes de deux monstres cinématographiques tels que Pierrot le Fou (Jean-Luc Godard) et La Dolce Vita (Federico Fellini). Les archives en question nous font revivre les films avec davantage de théâtralité : voluptueuse Anita Ekberg que l’on redécouvre, non sans avoir l’œil qui frise… Ces romans-photos sont alors autant de reliques, de témoins précis de l’histoire filmée ; comme s’il s’agissait de coulisses ou de secrets de tournage.
Par ailleurs, l’exposition vient nous éclairer sur la célébrissime revue française dédiée — corps et rames — au roman-photo. Lancée en 1947, Nous deux rencontre un franc succès. Cette popularité nous amène d’ailleurs à penser que les histoires peu compliquées qui y sont racontées permettent par la même occasion une séance de psychanalyse bon marché. Au cours des années 50, de plus en plus de magazines intégreront dans leur squelette un espace pour le roman-photo. Des célébrités mondialement connues se serviront même de ces vignettes pour mieux asseoir leur notoriété (Sophia Loren en fut coutumière avec le magazine italien Sogno).
C’est alors que tout se mélange un peu dans les caboches, que la confusion devient palpable : si le roman photo anesthésie toute faculté à penser ou à interpréter, comment peut-il invariablement émouvoir des milliers de fidèles abonnés ? C’est en sublimant l’image et en condamnant les longs discours que le roman-photo se fait tant apprécier. Les témoignages, criants de vérité, de lecteurs marseillais viennent carrément nous déstabiliser. Qu’en retient-on ? Que pour chacun de ces amateurs, le roman-photo est une thérapie qui ne craquera jamais son vernis. Les protagonistes y sont admirablement beaux, polis et bien élevés. Leurs histoires n’interdisent pas quelque complexité mais font toujours suffisamment rêver. À la fois accessible et libérateur, cet art n’en finit donc jamais de faire tambouriner les cœurs !
Là où la discipline nous surprend encore, c’est qu’elle convoite des univers bien ciblés : l’érotisme sadique (découverte du « K Killing », un psychopathe qui tue des femmes généreusement courbées), la prévention (le roman-photo exploité en brochures ou cartes postales est un outil de communication rudement efficace pour les campagnes institutionnelles), le porno (un essor tout à fait obscène voit le jour dans les années 70) et enfin la satire (Hara Kiri, Charlie Hebdo ou encore Fluide Glacial en sont des exemples éloquents). Intimidant ou engagé, moqueur ou hilarant, radical ou vicieux, le roman-photo utilise sa composition propre pour mieux résonner, percuter et même informer. Comme pour faire écho à cette idée, on peut aisément évoquer l’Internationale Situationniste : un mouvement issu des années 60 qui se sert du roman-photo pour finalement mieux le pervertir. Objectif ? Faire passer des messages incisifs auprès des masses en donnant au procédé une nouvelle jeunesse: le tract politique.
Art délibérément niais ? Support narratif mille et une fois utilisé? Le roman-photo est déroutant. S’il témoigne d’une certaine superficialité, il reste une arme redoutable d’engagement ou de remise en question de la société. Son pouvoir ? La mise en situation, le zoom, l’arrêt sur image. Caricatural à souhait ? C’est bien possible, en effet. Mais savoir « pauser » est un acte inspirant dans un monde en perpétuel mouvement.
Pauline Puaux
Roman-Photo : jusqu’au 23/04 au Mucem (7 promenade Robert Laffont, 2e).
Rens. : 04 84 35 13 13 / www.mucem.org
Nuit Vernie : le 2/02