– La saga HBO, l’histoire de la chaine qui a révolutionné les séries d’Axel Cadieux, Jean-Vic Chapuis et Matthieu Rostac
Tueur en séries
À travers un récit passionnant, truffé de témoignages et d’anecdotes, La Saga HBO retrace l’ascension de la chaîne câblée américaine, « dernière grande aventure en date du cinéma US ».
Sur un fond de neige sortie du tube cathodique, les lettres HBO apparaissent en transparence au son du mantra primordial bouddhiste. Et c’est sur cette ouverture que débute à la fin des années 90 l’entrée des séries télévisées dans le cercle fermé des œuvres d’art. Axel Cadieux, Jean-Vic Chapuis et Matthieu Rostac sont journalistes au mensuel So Film, dernier-né de la presse cinéphilique, et consacrent ce mois-ci un très bel ouvrage à La Saga HBO, l’histoire de la chaîne qui a révolutionné les séries. Pionnière de la télévision à péage dans les années 60, HBO pantouflait depuis trois décennies entre retransmissions sportives et diffusions de vieux films quand débarque Chris Albrecht, jeune loup plein d’ambition qui prend en main les destinées de ce qui deviendra un modèle de production télévisuel pour les années à venir et fera entrer la télévision dans une ère de modernité qu’elle n’attendait plus. Alors que de nombreuses séries (NYPD Blue, X-files, Friends…) cartonnent sur les networks américains, HBO, même si elle a mis la main sur un show horrifique qui deviendra culte sous le titre Les Contes de la crypte, n’a pas encore effectué sa mue. C’est la rencontre avec Tom Fontana, à qui Chris Albrecht donne une totale confiance pour créer un show qu’il porte depuis plus de quatre ans, qui va changer la donne. Tom Fontana propose une série sur le milieu carcéral, un huis clos où se concentrent meurtres, drogues, guerres ethniques, homosexualité et personnages charismatiques comme personne n’en a jamais montrés à la télévision. De par son sujet et sa violence, Oz est déjà un ovni. Mais ce qui en fait un objet unique, c’est qu’Albrecht donne à Tom Fontana les pleins pouvoirs pour écrire et réaliser son show. À l’image de la politique des auteurs qui ont fait du cinéaste un artiste dans les années 50, ce que l’on va plus tard appeler le showrunner est né, faisant de la série TV un nouvel horizon de la création artistique. Un an plus tard, c’est Sex & the city qui mettra en avant, à travers des portraits de femmes urbaines et émancipées, un féminisme consumériste qui parle de sexe, d’amour et de mode, jusqu’à devenir un phénomène social. HBO commence à faire parler d’elle, mais c’est avec l’arrivée en 2000 des Soprano que viendra la consécration. Le charisme renfrogné du gros nounours psychopathe Tony Soprano, joué par l’immense et regretté James Gandolfini, qui orne la couverture de l’ouvrage avec son regard noir et son havane entre les doigts, va connaître un succès critique et populaire inouï, jusqu’à faire son entrée au prestigieux MOMA de New York. Puis viendront The Wire, Six Feet Under, Deadwood et l’entrée d’HBO au rayon de nouveau maître de l’art audiovisuel. Mais après les succès, la machine va s’institutionnaliser et s’enrayer, multipliant les échecs coûteux. HBO rentre dans le rang, reprenant peu à peu la liberté qu’elle avait laissée à ses auteurs, notamment après le départ de Chris Albrecht en 2007. Sans oublier les concurrentes AMC, Showtime et FX, qui ont su emboîter le pas des pionniers pour tailler des croupières à la chaîne. Malgré les tempêtes, HBO produira durant cette période de transition quelques petits chefs-d’œuvre, dont Carnivale, Entourage ou Bordwalk Empire, mais la frénésie se tarit. Le succès planétaire de la très consensuelle, pour ne pas dire banale, Game of Thrones enterre les espoirs des petits chefs-d’œuvre trop complexes, trop ambitieux tels que Vinyl ou The Leftovers. HBO est devenu un gros paquebot qui doit rentabiliser rapidement et n’a plus le temps de développer des petits bijoux confidentiels comme le fut la jolie Treme. Elle se concentre alors sur des anthologies, moins risquées sur le temps, comme True Detective ou The Night Of. L’ouvrage, écrit sur un mode journalistique, au présent, raconte cette aventure de façon enlevée, alerte et passionnée. Truffée de très belles photos et de longues interviews, La Saga HBO porte un regard nostalgique mêlé de tendresse et d’admiration sur cette époque qui a vu naître ce bonheur nouveau du binge watching, rappelant que les années 2000, c’était quand même pas mal.
Daniel Ouannou
Axel Cadieux, Jean-Vic Chapuis et Matthieu Rostac – La saga HBO, l’histoire de la chaine qui a révolutionné les séries (éd. Capricci)