Saint-Jean, le désert
Résolument tourné vers aujourd’hui et l’après, votre journal ne tient pas moins aux évocations historiques diffusées par la culture, artistique et populaire. En cette fin janvier 2023, la Ville se souvient de la tragédie qui l’a marquée profondément il y a quatre-vingts ans, les rafles et la destruction des Vieux-Quartiers en janvier 1943. Un événement resté dans les brumes des mémoires, faits pourtant majeurs de la Seconde Guerre mondiale en France et à Marseille. 25 000 habitants du Quartier Saint-Jean que formaient les ruelles étroites et les immeubles branlants derrière l’Hôtel de Ville furent raflés au petit matin. Sortis de leurs logements au son des haut-parleurs et des bruits de botte, contrôlés, triés, 15 000 hommes, femmes et enfants furent conduits par la police française et les soldats nazis jusqu’à la gare d’Arenc, leur maigre paquetage sous le bras. Des trains à bestiaux les attendaient pour les conduire à Fréjus dans un camp militaire désaffecté. 800 d’entre eux seront déportés dans les camps de concentration en Allemagne et en Autriche, voués à la mort. Les autres, reconduits à Marseille et laissés libres, ne reverront jamais leurs habitations. 1 500 immeubles sont détruits à l’explosif, cinquante rues disparaissent, là même où les Phocéens s’installèrent pour fonder Marseille il y a 2 600 ans. À part un chiffre rond, 80 ans, l’actualité vient de la nouvelle lecture qu’a entreprise la justice française du mois de janvier 1943. Le parquet de Paris enquête actuellement sur les faits de crimes contre l’humanité que constituent la rafle du Vieux-Port et la destruction de Saint-Jean. Les commémorations d’ampleur que la Ville organise ce 29 janvier 2023, des expositions, une pièce de théâtre, des documentaires, témoignent d’une réalité récurrente. Les indésirables seront toujours indésirés, ils changent de nom, de forme ou de lieu, mais la communauté des hommes entreprend d’exclure, voire d’éliminer encore et toujours, et trouve un prétexte pour le faire. Les historiens enseignent, les journalistes racontent, les juristes caractérisent. Les chiens aboient et la caravane passe.
Victor Léo