La saison de l’Opéra de Marseille
Une saison à l’Opéra
Hamlet, Anna Bolena, Maria Stuarda, La Chauve-Souris, Boris Godounov, Capuleti e Montecchi, Lakmé, Don Carlo… autant de patronymes qui s’égrèneront à l’Opéra de Marseille, de septembre à juin, comme une volée de sons de cloche dont les coups ébranlent déjà l’imagination. Dans chacun de ces noms un génie invisible tient la promesse d’une ivresse, d’une volupté, d’un divertissement, d’un plaisir, d’une blessure ou d’une consolation à venir.
Il n’est pas de désir sans images anticipées de son objet, délicieusement ambigües ; la passion lyrique se nourrit de ces figures emblématiques. Mais la stimulation n’est pas l’unique effet d’annonce d’une programmation. A l’exemple d’une exposition de peinture, elle fonctionne également comme un dispositif propre à susciter de nouvelles grilles de lecture par les proximités, les résistances, les dialogues qu’elle noue entre les œuvres destinées à faire « famille » l’espace d’une saison. En l’occurrence, la plupart convergeront cette année, à travers la trame des styles et des caractères, vers deux puissantes focales : le Grand opéra français et le bel canto italien. Anniversaire oblige, sur toutes deux planera l’ombre portée de Shakespeare. Par ailleurs, deux singularités percent l’affiche : Johann Strauss (fils) pour les fêtes de fin d’année et Modeste Moussorgski dans une brillantissime production de l’Opéra royal de Wallonie.
Le Grand Opéra…
Avec son goût du spectaculaire et de l’Histoire en majuscule, ses chorégraphies affriolantes et son inclination au mélodrame, le Grand opéra connaît un retour de flamme parmi les illuminations de la fête impériale. Ambroise Thomas signe avec son Hamlet (Paris-1868) l’un des derniers feux d’artifice de ce genre musical. Artiste officiel, style académique, art pompier ? Vous apprécierez la musique de Thomas comme on redécouvre la peinture de Cabanel ou de Gérôme : « Ce qu’on admire ici, c’est l’élégance des formes, la correction du dessin, la finesse et la fraîcheur du coloris.(1) » A ne pas manquer pour se débarrasser de préjugés tenaces… Et voir Patricia Ciofi triompher dans l’air de la baignoire sous la baguette de Lawrence Foster, le directeur musical du Philharmonique de Marseille.
Lakmé (Paris-1883) est un mélodrame romantique contenant des airs de danse, héritage de cette sensibilité si française qui inspira à Léo Delibes le flux aérien de ses mélodies. La flexibilité conjointe des voix de Sabine Devieilhe (Lakmé) et de Madjouline Zerari (Malika), fusionnées comme « le jasmin à la rose s’assemble » (Acte I, n°2), nous entraînera dans l’orbe d’un ailleurs poétique qui restera une expérience d’apesanteur très troublante (du 3 au 11 mai 2017).
Créé en 1867 à Paris dans sa livrée de Grand opéra, Don Carlo n’a pas cessé d’être rhabillé par le compositeur. Nous entendrons en juin la version de Milan, 1884, pour laquelle l’original aura été substantiellement resserré afin de l’adapter aux usages de la scène italienne. La puissance expressive des aspirations libertaires de Verdi conserve tout son souffle, dynamisée par la relation œdipienne Don Carlo/Philippe II (Théodore Ilincai/Nicolas Courjal) sous l’ascendant d’un Grand Inquisiteur (Jean-François Lapointe), point de cristallisation anticléricale du maestro. Un Verdi unique et singulier, comme tous les autres (du 8 au 17 juin).
Le bel canto…
Deux épisodes tragiques de l’histoire britannique ont servi d’arguments — très shakespeariens — aux opéras Anna Bolena (Milan, 1830) et Maria Stuarda (Milan, 1835) de Donizetti. Les rôles titres, interprétés par Zuzana Markovà et Annick Massis, incarnent l’héroïne belcantiste condamnée à une mort pathétique avec, sur des lèvres encore palpitantes, un air suave et virtuose. On en redemande et nous voilà exhaussés : deux opéras romantiques coup sur coup en version concert (du 23 octobre au 2 novembre). Sera-ce suffisant ?
Non bien sûr. Il fallait un Bellini, avec toujours dans les lointains l’ombre de Shakespeare remaquillée en style troubadour. I Capuleti e i Montecchi est composé en sept semaines pour la Fenice où il est créé en 1830. Comme il est d’usage à cette époque, le compositeur utilise des pages écrites précédemment avec une aptitude au réemploi digne d’un architecte gothique… ou d’un maître-queue. Ainsi qu’il arrive de réussir une recette improvisée avec quelques restes qu’on a l’habileté de savoir assortir, le tour de main de Bellini rencontre le succès espéré, façon tournedos Rossini ! Pourtant, on y pressent déjà la noblesse d’expression qui animera l’année suivante sa Norma. Le musicologue Piotr Kaminsky a prophétisé : « Un couple d’interprètes exceptionnels parviendra à porter cette partition aux multiples beautés où ne manquent pas de vrais instants de grâce.(2))» Prédisons qu’il s’agira du duo de choc Patricia Ciofi (Giuletta) et Karine Deshayes (Roméo) et que la prophétie se réalisera à Marseille (du 26 mars au 4 avril).
Par ailleurs…
Pour le nouvel an, surprise ! La Chauve-Souris. Une opérette oui, mais un chef-d’œuvre effervescent de Johann Strauss, avec le concours des voix les plus prometteuses de la scène lyrique française d’après un vaudeville très bouffe nommé Le Réveillon. A consommer sans modération (du 29 décembre au 8 janvier).
Après avoir subi une longue éclipse de trente ans, un météore incandescent et rare traversera le ciel lyrique phocéen : le Boris Godounov de Modeste Moussorgski, propulsé par l’iconographie saisissante du metteur en scène Petrika Ionesco.
Le compositeur écrivit lui-même le livret d’après une chronique dramatique de Pouchkine, analogue au Richard III de Shakespeare, mais puisé dans le XVIe siècle des Romanov, tout aussi impitoyable. On ne compte plus les versions de cet opéra depuis la première partition (août 1869). Celle de l’Opéra royal de Wallonie laisse prévoir de splendides mouvements de foule sur des pages chorales inoubliables pour lesquelles la Maîtrise des Bouches-du-Rhône prêtera son concours au Chœur de l’Opéra, frisson garanti. L’orchestration, proche de l’originale, accroît le pouvoir de pénétration des lignes de chant en partageant avec elles l’éclat de leur éloquence. La jeune et grande basse russe Alexey Tikhomirov, plébiscité à Liège en 2010 lors de sa prise de rôle au pied levé (en remplacement de Ruggero Raimondi), a laissé depuis sur le rôle-titre l’empreinte d’une expressivité vigoureuse qu’il nous fera partager du 14 au 21 février.
La cité phocéenne à la chance de conserver une programmation lyrique talentueuse. Quand on sait les conjonctures moroses, les fortunes bonnes et mauvaises, tous les impondérables qui menacent les intentions les mieux établies en ce domaine, souhaitons à ses concepteurs le talent d’être chanceux cette saison encore à notre plus grande satisfaction et que, pour chacune de leurs propositions, la réussite vienne coiffer l’ambition qui l’avait réclamée.
Roland Yvanez
Saison de l’Opéra de Marseille (Place Ernest Reyer, 1er) : du 27/09 au 17/06/2017.
Rens. : 04 91 55 14 99 / opera.marseille.fr
Premières représentations lyriques : Hamlet d’Ambroise Thomas, du 27/09 au 4/10.
Notes