La saison symphonique de l’Opéra de Marseille
Les 4 saisons de l’Opéra de Marseille
La saison lyrique 2016/17 présentée précédemment ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. L’Opéra de Marseille cultive au contraire un arboretum musical dont la disposition évite que les espèces trop vigoureuses n’absorbent les provendes et que celles plus délicates n’en soient privées.
Ainsi les couleurs intimes de la musique de chambre (un samedi par mois à 17h) voisinent-elles avec la majesté des grandes formes concertantes ou symphoniques qui ont conduit l’Orchestre Philharmonique aux plus hautes réussites cet été au Rheingau Festival de Wiesbaden, aux Chorégies d’Orange ou au Festival de La Roque d’Anthéron. Les spectacles de la compagnie Julien Lestel ou du Ballet National de Marseille, les récitals de Nicolas Courjal ou de Juan Diego Flores et les performances musicales du GMEM invitent aux sensations comme un réseau de points de vue qui laisse une grande place à la surprise, à la découverte et à l’expérimentation artistique. L’on peut s’y promener comme dans un jardin à l’anglaise parmi ses étendues ou ses échappées, toutes abondantes et colorées.
La saison symphonique
Les soirées de l’Orchestre Philharmonique de Marseille présentent souvent la combinaison d’une œuvre symphonique et d’une autre concertante. Cette année, une idée originale animera plusieurs d’entre elles d’un double agrément. Il s’agira d’inviter un chef d’orchestre-compositeur (ou vice versa) qui dirigera l’un de ses propres concertos interprété par un soliste de l’orchestre phocéen. Se succèderont ainsi Li Biao avec les percussions de l’orchestre (le 18/11), Peter Ruzicka et Armelle Descotte au hautbois (le 26/02), Bruno Mantovani et Da-Min Kim au violon (le 10/03) puis Krysztof Penderecki (le 21/04), compositeur polonais qui a épousé ou stimulé les évolutions stylistiques majeures du siècle dernier, avec Anthony Abel à la trompette. Une belle initiative destinée à mettre en valeur les qualités personnelles des instrumentistes du Philharmonique de Marseille au bénéfice de la création musicale contemporaine. A noter également, l’intégrale des concertos de Beethoven en deux soirées à l’Auditorium du Pharo (01 et 02/12) avec Inon Barnatan au piano dont la récente discographie a révélé un artiste clairvoyant, pénétré de toute l’énergie fiévreuse du jeune siècle romantique. La saison symphonique se terminera au Silo avec Le Sacre du printemps d’Igor Stravinski. « Un orchestre se doit de jouer cette œuvre, l’une des plus difficiles à diriger », selon Lawrence Foster, son directeur musical, à la baguette pour cette expérience évaluatrice et initiatique à ne pas manquer.
Soirée russe (entendu à l’Opéra de Marseille le 11 octobre)
Le premier concert de l’Orchestre Philharmonique de Marseille était placé sous les feux sacrés de deux icônes de la musique russe, Tchaïkovski (1840-1893) et Rimski-Korsakov (1844-1908), aux caractères si dissemblables que la valeur symbolique de leur confrontation pourrait incarner à elle seule la tension mystérieuse avec laquelle la sensibilité artistique de cette nation cherche ses épanchements.
Dans le Concerto en sol majeur opus 44 de Tchaïkovski, nous ne pouvions malheureusement pas observer le jeu pianistique de Boris Berezovsky, placé frontalement au public. Mais le mouvement de ses larges épaules et de sa tête donnait à penser qu’il conduisait son instrument, tel un chef sans baguette son orchestre, au moyen des signes de la main et du regard, délivré de la nécessité de l’appui sur les touches par la dynamique subtile de sa volonté. Voir ce grand corps robuste habité, presque hanté, par l’âme sybarite du compositeur tenait du prodige. Pourtant, à plusieurs siècles d’intervalles, bien des similitudes réunissent les deux hommes. Francophiles tous deux mais profondément russes, ils partagent un destin cosmopolite, ouverts aux influences étrangères mais exilés dans un univers intérieur contrasté dont on a bien senti la communauté d’accord sous les doigts invisibles de l’interprète tour à tour fluide, radieux, écorché, vulnérable ; comme il y a un Brueghel de Velours et un autre d’Enfer. Un accord en sol majeur, sous la direction d’un Lawrence Foster inspiré par la rencontre.
Shéhérazade, la suite symphonique opus 35 de Rimski-Korsakov, ressort à ce patrimoine musical impalpable que l’on porte en soi à son insu. Même à la première écoute, on éprouve ce sentiment de déjà-entendu, de déjà-là qui explique, peut-être, la longévité des chefs-d’œuvre et, bien qu’infiniment rejoués, conserve leur pouvoir enchanteur. Pour cette évocation du conte des Mille et une nuits, Lawrence Foster avait choisi une battue lente et ample afin de donner toute sa voilure à l’orchestre et laisser aux tableaux sonores le temps de se former dans une netteté lumineuse puis de se recomposer avec cette libre indétermination des nuages. Car chez Rimski-Korsakov, point de « programme », malgré l’influence de Berlioz, mais plutôt les suggestions d’un enlumineur de thèmes musicaux, ornementés comme des majuscules historiées qui échangent leurs rinceaux de feuillage entre les quatre mouvements de l’œuvre.
Il faut ici rendre hommage à chacun des musiciens de l’orchestre embarqués sur le même bateau où toutes les énergies sans exception étaient requises et pour lequel le compositeur, en bon officier de marine qu’il était, avait prévu quelques avis de tempête qui nous ont convaincus de son art prodigieux de la mise en scène sonore. Plus précisément, il faut souligner le travail des vents, cuivres et bois sur le pont plus que de coutume, ainsi que l’excellence du violon solo Da-Min Kim et du violoncelliste Yannick Callier dans les rares moments « chambristes » »des deux œuvres de la soirée. Tous ces musiciens avaient à gérer la précision de masses timbrales complexes, au spectre délibérément lacunaire dans le médium quand le suraigu du violon faisait scintiller de profonds motifs d’altos et contrebasses. Féerie oblige, le songe me vint d’un Rimski-Korsakov, barbe frémissante et casquette vissée sur le front, arpentant les coursives pour voir si chacun faisait son devoir. Homme d’honneur, Lawrence Foster y avait veillé. Parbleu, je crois que je me suis laissé emporter avec tout le public du vaisseau de l’Opéra de Marseille que le charme de Shéhérazade ensorcelait. Mais sans cette musique, notre petit monde serait plus court d’une encablure aujourd’hui.
Roland Yvanez
Saison de l’Opéra de Marseille (Place Ernest Reyer, 1er) : jusqu’au 17/06/2017.
Rens. : 04 91 55 14 99 / opera.marseille.fr