Salammbô. Fureur ! Passion ! Eléphants ! au Mucem

L’arôme antique

 

 

À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Flaubert, les musées de Rouen et le Mucem ont conçu une exposition où 250 œuvres témoignent de l’abondante postérité de Salammbô, ayant engendré un mythe moderne, inscrit dans le foisonnement de l’Orientalisme, et qui trouve aujourd’hui une place évidente dans le musée consacré à la Méditerranée.

 

 

Le sous-titre choisi par les concepteurs de l’exposition, Myriame Morel-Deledalle et Sylvain Amic, peut surprendre. Il fait appel à la « Fureur », celle d’une guerre et de sanglantes batailles ; la « Passion », celle de Mâtho, chef des mercenaires révoltés, pour la princesse Salammbô, fille d’Hamilcar et prêtresse de la déesse Tanit ; et les « Éléphants », redoutables destriers carthaginois, tels ceux d’Hannibal ayant franchi les Alpes.

Qu’on se rassure, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le roman pour apprécier pleinement cette exposition, qui ne se veut pas une explication savante de l’œuvre mais plutôt un parcours sensible dans l’infinie variété des « dérivés » de Salammbô.

Une brève présentation des personnages et de la trame du livre aide d’ailleurs d’entrée à se repérer et à mieux décrypter les œuvres.

Flaubert a dévoré toute la documentation disponible en son temps. Sont présentées quelques-unes de ses sources, comme un des rares vestiges archéologiques carthaginois alors disponibles, à savoir une pierre gravée en phénicien étrangement découverte à Marseille, une tapisserie des Gobelins du XVIIe représentant la bataille de Zama, spectaculaire mêlée de chevaux romains et d’éléphants carthaginois, et un carnet issu de son voyage « de repérage » dans Carthage en ruines en 1858.

L’écriture fut longue et douloureuse, comme en témoigne le manuscrit de la première page — avec le fameux incipit « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar » —, prêt pour l’édition et cependant encore raturé par l’auteur, document émouvant prêté par la BNF.

Flaubert refusait de son vivant toute illustration, mais après sa disparition en 1880, le mythe de Salammbô a été repris et maintes fois décliné. Ces multiples formes d’expression artistique sont présentes au Mucem : illustration, peinture, sculpture, arts décoratifs, opéra, cinéma, et même bande dessinée.

Des éditions anciennes sont visibles, aux illustrations et aux reliures somptueuses. La peinture est bien sûr mobilisée, avec des tableaux des XIXe et XXe siècles, tel une étonnante toile de Max Ernst, Le Jardin de la France (1962), où une Salammbô dévêtue apparait comme lovée entre deux cours d’eau, la Loire et l’Indre. L’esthétique flaubertienne a beaucoup attiré les tenants de l’Art Nouveau. Une Salammbô de 1895, toile de Carl Strathmann, mêle huile et incrustations de pierres artificielles scintillantes, venue du Musée de Weimar. La sculpture figure avec une des premières œuvres du jeune Antoine Bourdelle.

Flaubert était attiré par la scène et avait lui-même envisagé Salammbô sous forme d’opéra. Pas moins de neuf opéras s’en sont inspirés, depuis celui du compositeur marseillais Ernest Reyer en 1890, monté à l’Opéra de Marseille en 2008. Ces mises en scène ont suscité la création de costumes et de décors d’un orientalisme flamboyant. Ainsi peut-on voir des ornements de scène où or et argent renvoient à la dualité carthaginoise entre Moloch, le feu, et Tanit, la lune. Toujours dans le champ des arts décoratifs, on est surpris de voir une réalisation du voile sacré de la déesse Tanit datant de 1895, fait de gaze, broderies, plumes, perles et pièces de métal, pièce chatoyante venue du Musée de Rouen.

Avançant dans la chronologie, l’exposition aborde les adaptations cinématographiques avec quelques extraits projetés, notamment celui d’un film muet franco-autrichien de 1924 où évoluent 10 000 figurants. Salammbô ne pouvait que tenter le péplum italien : une kitchissime affiche en toile peinte sortie des collections du Mucem annonce un film italien de 1960, le réalisateur s’autorisant quand même à terminer l’histoire par un happy end !

La bande dessinée mérite sa part, grâce à un dessinateur illustre, Druillet, qui a produit dans les années 80 une trilogie Salammbô, très fidèle à Flaubert, où Mâtho prend le visage du héros de Druillet, Lone Sloane. Une des planches a été choisie comme affiche de l’exposition. Hasard des calendriers, Métal Hurlant, le magazine culte de BD fondé par Druillet en 1975 et interrompu en 1987, ressuscite cet automne.

Enfin, une dernière très belle salle concerne l’archéologie contemporaine du site de Carthage. On y voit entre autres un très beau couvercle de sarcophage en marbre, des stèles trouvées sur le « tophet », sanctuaire dédié aux dieux de Carthage, dont on s’interroge sur la réalité des sacrifices d’enfants qui y auraient été pratiqués. La visite de cette salle se fait sous le regard d’un jeune carthaginois, le Jeune homme de Byrsa, plus vrai que nature, grâce à la technique de la dermoplastie, comme au musée Grévin.

L’exposition est complétée d’un programme artistique le premier week-end de décembre avec lectures, concerts et films.

Il n’est pas interdit aussi d’avoir envie de lire, ou relire Salammbô, et ce jusqu’à l’excipit : « Ainsi mourut la fille d’Hamilcar pour avoir touché au manteau de Tanit. »

 

Gabriel Ishkinazi

 

Salammbô. Fureur ! Passion ! Eléphants ! : jusqu’au 7/02/2022 au Mucem (Esplanade du J4, 2e).
Rens. : www.mucem.org