Sans surprise, la ZFE marseillaise n’a aucun impact
Dix-huit mois après le début de sa mise en place dans la difficulté, le dispositif n’a pas vraiment eu d’effet sur la qualité de l’air ou le remplacement de voitures vers des modèles plus propres.
Une surprise qui n’en est pas vraiment une. À un an de l’échéance fixée pour l’extension de la zone à faibles émissions (ZFE) aux véhicules classés Crit’air 3, la présidente de la métropole Martine Vassal (divers-droite) a annoncé son intention « de reporter sine die » cette mesure censée interdire l’accès aux voitures les plus polluantes. Leurs propriétaires pourront donc continuer à rouler dans le centre de Marseille sans risquer une amende pour le moment.
Une manière de ne pas « laisser s’installer une écologie punitive », argumente Martine Vassal dans un communiqué. Un recul finalement dans l’air du temps puisque d’autres villes retardent ou assouplissent les restrictions liées à ces zones. Dès l’annonce gouvernementale de la création des ZFE, en 2019, en réponse aux sanctions de l’Union européenne pour non-respect de la qualité de l’air dans de nombreuses métropoles françaises, la mesure avait été critiquée : la lutte contre la pollution par l’achat de véhicules neufs ferait peser un risque d’exclusion sociale sur une population qui n’a pas forcément les moyens d’y faire face. Le collectif MarsMob, positionné sur la mobilité, qualifie même cette mesure d’« inappropriée » après l’annonce de ce report.
Stoppée avant le niveau 3, la ZFE est cependant déjà en place pour les Crit’air 5 depuis septembre 2022, puis les Crit’air 4 un an plus tard. Malgré ces dix-huit mois d’application, cette décision de freiner le dispositif n’est accompagnée d’aucun bilan global officiel. Marsactu fait le point.
Combien de véhicules touchés ?
5, puis 4, puis 3. En apparence, la progression de la ZFE est méthodique, mathématique. En réalité, les deux premières catégories ciblées — grosso modo les diesel ayant plus de vingt ans — sont assez peu présentes dans les rues. En revanche, avec le macaron de couleur orange, qui inclut des diesel plus récents, mais aussi les essence les plus anciennes, on attaquerait un plus gros morceau. Martine Vassal évoque 317 000 véhicules concernés par la restriction de la circulation aux vignettes de Crit’air 3. Le chiffre provient d’une étude de BNP Paribas France présentée en décembre à la presse et aux élus locaux. Il se base sur toutes les immatriculations au sein de la métropole, soit un million de véhicules.
« Les Crit’air 3 ne représentent pas la majorité des véhicules », rappelle toutefois Damien Piga, directeur des relations extérieures d’AtmoSud. D’après les études de l’association qui mesure la qualité de l’air dans la région, « 83 % des déplacements dans le département se réalisent par des Crit’air 0-1-2 alors que ce n’est que 13,6 % pour les Crit’air 3. » Il note toutefois que Marseille a une situation un peu différente avec un parc de voitures plus vieillissant, « qui roule souvent moins. »
L’impact réel est difficile à mesurer puisqu’il n’existe pas de statistiques sur le nombre réel de véhicules, par catégorie Crit’air, qui roulent régulièrement dans le périmètre de la ZFE. On connaît en revanche le parc automobile dont la carte grise y est localisée, fourni par le ministère de la Transition écologique. Dans Marseille intra-muros, le macaron Crit’air 3 représente 73 110 voitures sur les plus de 360 000 que compte la ville, soit une sur cinq. Et surtout, au sein du périmètre ciblé par la ZFE, il s’agit de trois-quarts des voitures.
Une vision globale qui se traduit différemment selon les arrondissements. Le 3ᵉ — qui est dans la ZFE — et le 15ᵉ seraient les deux plus impactés par une interdiction de circuler dans le centre élargie aux Crit’air 3 puisque cela concerne 40 % des plaques d’immatriculation.
Quels effets sur la qualité de l’air ?
Les Crit’air 4 et 5 n’ont beau représenter qu’une petite partie du trafic routier global, elles correspondent aux véhicules les plus polluants. Avec seulement 3 % du parc, les Crit’air 5 concentreraient même 11 % des émissions d’oxyde d’azote. D’après les estimations d’Atmosud avant la création de la ZFE, l’exclusion des véhicules des Crit’air 3-4-5 devait à terme réduire de 21,8 % les émissions d’oxyde d’azote — un polluant gazeux irritant pour les voies respiratoires. De quoi soulager les 37 000 Marseillais exposés à une pollution dépassant les seuils critiques.
Pour l’heure, l’interdiction de rouler dans la ZFE n’a pas impacté la qualité de l’air. « Nous constatons peu d’évolution », confirme Damien Piga. Les attentes étaient bien supérieures à la réalité puisqu’elles se basent sur une application totale de la ZFE. « En théorie, une ZFE doit permettre un renouvellement progressif du parc de véhicules, mais elle doit être appliquée strictement », pointe Damien Piga.
Les voitures sont-elles plus propres ?
Progressif, mais accéléré. Après un an et demi d’application, mais trois ans de sensibilisation depuis l’annonce de cette mesure, les chiffres montrent une petite évolution sur cet aspect. Sur les deux dernières années, 27 000 voitures et utilitaires légers classés 3, 4 ou 5 ont disparu, soit 20 %. Dans le détail, on remarque par ailleurs que pour une même tranche de vignette, il n’y a pas de gros écarts entre les arrondissements sur la part de disparition de ces véhicules. Mais une bonne partie du chemin reste à accomplir : dans les sept arrondissements centraux, inclus intégralement dans la ZFE, plusieurs milliers de véhicules n’ont plus le droit de rouler. À noter, qu’entre 2021 et 2023, Marseille a perdu, toutes catégories confondues, 13 500 voitures.
« Il est difficile de mesurer l’impact de la ZFE sur ces changements, il faudra mener des études sur les motivations d’achat », nuance le représentant d’Atmosud. Lui y voit plutôt une « évolution tendancielle », c’est-à-dire que l’évolution technologique fait que le parc de voitures devient de facto plus propre. Effet ZFE ou pas, les voitures Crit’air 1 — qui est la catégorie la plus présente dans la ville — grossit avec près de 16 700 voitures supplémentaires (soit 15 % de hausse). Les voitures électriques ont beau être plus nombreuses, en passant de 2700 en 2021 à désormais 6800, elles ne représentent que 2 % du parc automobile marseillais.
Martine Vassal met en avant une aide financière de la métropole, annoncée lors de ses vœux 2024, pour encourager le changement de véhicule vers l’électrique. À la tête du département, elle avait déjà mis en place un tel dispositif entre 2018 et 2022 avec 83 millions d’euros, qui ont permis l’achat de près de 17 000 véhicules. Le département donne la répartition des bénéficiaires de ce dispositif par conseil de territoires, les divisions métropolitaines. Marseille (6538 dossiers) et Aix (4746) réunissent les deux tiers des bénéficiaires de ces aides.
Quel contrôle ?
Si le renouvellement n’a pas connu d’accélération brutale, c’est peut-être que la mesure n’a pas été perçue comme très contraignante. La première règle à respecter concerne tous les conducteurs qui entrent dans le ZFE : apposer le fameux macaron sur leur pare-brise pour prouver leur conformité. La préfecture des Bouches-du-Rhône, qui délivre cet autocollant, recense près de 642 000 vignettes commandées, soit un taux d’équipement de presque 50 % dans le département. Mais dans les rues du centre de Marseille, où toute voiture est concernée, la fréquence est parfois bien plus réduite.
Quant aux contraventions, 458 ont été dressées depuis janvier 2023, indique la préfecture de police. Au-delà du peu de véhicules potentiellement concernés, le risque de sanction n’a jamais été présenté comme une épée de Damoclès pour les automobilistes. Le discours politique était plus axé sur la pédagogie de la mesure, également à l’échelon de la Ville puisque la police municipale est aussi en mesure de contrôler les vignettes. « Appliquer une sanction alors qu’il n’y a pas d’alternative proposée aux conducteurs, ce n’est pas une politique publique, c’est seulement mettre des contraventions pour faire du chiffre », balaie ainsi Audrey Gatian, adjointe (PS) en charge de la mobilité à la mairie de Marseille.
L’élue estime que le développement de l’offre de transports aurait pu permettre une vraie application de la ZFE. De son côté, Damien Piga souligne aussi que la ZFE « n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre la pollution de l’air : il est plus efficace de réduire les déplacements et de développer les modes alternatifs. » Une vision que partage aussi le collectif citoyen MarsMob.
La RTM n’ayant pas encore publié ses chiffres de 2023, il est impossible de savoir si un éventuel report vers les transports en commun s’est effectué depuis septembre 2022. Les concrétisations des prochains grands projets comme l’extension du tramway ou la refonte du réseau de bus sont prévus d’ici à 2026. Peut-être que la ZFE refera alors parler d’elle.
Rémi Baldy, avec Julien Vinzent