Sénatoriales : tout le monde a gagné, même Guérini et Ravier
Avec deux sortants réélus qui reviennent de loin et une coalition de gauche qui offre un siège à chacun de ses grands partis, les résultats des sénatoriales ont comblé la plupart des camps. Même la droite, qui voit un quatrième siège lui échapper, rejette l’idée d’une défaite, forte de sa première place confortable en nombre de voix.
L’information remonte du dépouillement : Stéphane Ravier serait réélu sénateur. On lui demande confirmation. En proie à une grande tension, l’ex maire RN des 13e et 14e arrondissements se tourne vers son staff, qui ne lui apporte pas la délivrance espérée. Dans cette élection sénatoriale où les grands électeurs sont d’abord issus des municipales, sa défaite dans les 13e et 14e arrondissements devait aussi lui coûter son siège au Palais du Luxembourg. Un peu plus tôt, préférant le mistral glaçant qui balaie le parvis du parc Chanot au bruissement du décompte qui lui donnait déjà quelques espoirs, il parlait « d’exploit » si cette hypothèse se confirmait. Et puis la clameur monte chez les conseillers régionaux et militants qui l’entourent : avec 345 voix, Stéphane Ravier sera bien le seul sénateur de son parti. « En 2014, j’avais été chercher 140 voix [par rapport aux grands électeurs encartés, ndlr], là c’est 204 », se félicite-t-il.
Dans ce hall du parc Chanot, qui devait accueillir en cette période une Foire de Marseille finalement annulée et fait presque trop grand pour les quelques dizaines de participants, un autre vainqueur brille par son absence. « Jean-Noël Guérini ? Il est venu voter, mais ensuite pas mal de monde me dit qu’ils ne l’ont pas vu », nous glisse-t-on. Une chose est sûre : l’ex président du Conseil général des Bouches-du-Rhône n’est pas là pour entendre son nom et son score, 538 voix, quand la gauche rassemblée (PCF-PS-EELV) en réalise 987. Sans parti, sans grande collectivité et sans soutien affiché autre que les quelques maires et adjoints qui composent sa liste (Lire notre article sur la campagne de Jean-Noël Guérini). Il rétrograde cependant par rapport à son triomphe de 2014, où il avait raflé trois sièges, n’en laissant qu’un au PS.
« Guérini, c’est le sparadrap du capitaine Haddock »
« Mais c’est une victoire du passé », cingle Marie-Arlette Carlotti, ancienne ministre et députée socialiste qui poursuivra sa longue carrière politique au Sénat, alors que son téléphone vibre en continu de messages de félicitations. « Guérini, c’est le sparadrap du capitaine Haddock, cela devrait être réglé depuis longtemps », se désole Hervé Menchon, adjoint à la maire de Marseille venu fêter en famille l’entrée à la Haute assemblée du premier écologiste venu des Bouches-du-Rhône, Guy Benarroche. Il viendra gonfler les rangs du nouveau groupe EELV au Sénat. Quant à la tête de liste Jérémy Bacchi, il signe le retour du Parti Communiste après une parenthèse jamais vue depuis la Libération.
Si ces réélections de Stéphane Ravier et Jean-Noël Guérini ternissent le résultat pour Marie-Arlette Carlotti, la gauche y voit toutefois une victoire. « Voilà, c’était la bonne stratégie !, s’exclame-t-elle, encore remontée contre certains cadres de son parti qui ont tenté de peser contre. Il y a eu beaucoup d’hésitations, ce qui fait qu’on est partis très tard en campagne, mais gagner à trois [PC, PS, EELV, ndlr], ça fait encore plus de sens. On passe la seconde, on est prêts pour la troisième. » Autrement dit, les départementales et régionales, en mars 2021, où le Printemps Marseillais espère reconduire sa dynamique d’union.
Même Jean-Pierre Serrus, tête de liste LREM, se dit « très heureux d’un score plutôt bon » (303 voix), après la moisson quasi inexistante du parti présidentiel aux municipales, et dans un contexte difficile pour le gouvernement. « Nous avons montré que l’union du centre était une force politique importante dans le département et que des élus de proximité la soutenaient », veut-il croire.
La droite se satisfait de son socle à 3 sièges
À côté de ces trois victoires et de cette satisfaction limitée, un camp n’a pas chaviré à l’annonce des résultats. « Bien sûr que je suis déçue, à une trentaine de voix on aurait pu basculer à quatre sièges, mais ce n’est pas une défaite », commente Brigitte Devesa, quatirème, qui aurait dû représenter au Sénat la majorité municipale d’Aix-en-Provence et l’UDI à la suite de Sophie Joissains.
La moisson s’arrêtera à Stéphane Le Rudulier, maire de Rognac. « Avec Jean-Claude Gaudin, depuis 2008, le tarif, c’était trois sièges. Et la dernière fois avec six secteurs gagnés à Marseille », rappelle Patrick Boré. À la tête d’une liste de renouvellement intégral, avec notamment le retrait de Jean-Claude Gaudin et la mise à l’écart de Bruno Gilles, il n’a jamais revendiqué fermement que cette base. Une satisfaction qui accompagne la victoire de la droite au niveau national, qui a conservé hier sa mainmise sur le palais du Luxembourg.
Entretemps, la droite a toutefois conquis Allauch, Gardanne, affirmé sa domination sur les élus « divers » et « sans étiquette » de la métropole Aix-Marseille Provence, tandis qu’Arles basculait au centre-droit. « Avec près de 1300 voix [1243, ndlr], nous sommes très largement en tête », souligne la n°2, la députée Valérie Boyer, qui changera donc d’hémicycle. Elle y voit « une injustice du mode de scrutin pour le vainqueur ». La proportionnelle intégrale des sénatoriales, plutôt axée sur la représentation des listes minoritaires, ne lui accorde en effet aucune prime et elle récolte un siège pour 414 voix, quand la gauche en gagne un pour 329 et le RN un pour 345.
Ces calculs ne l’empêchent toutefois pas de noter la centaine de bulletins blancs ou nuls retranchés du dépouillement. Une déperdition potentielle pour la droite, à additionner aux voix glanées par Stéphane Ravier et Jean-Noël Guérini. « Guérini prend à la fois sur la droite et sur nous, c’est évident », estime Marie-Arlette Carlotti. Son partenaire EELV tablait sur un potentiel électoral de 1200 voix, loin d’être atteint. L’ex ministre voit par ailleurs dans le score de Stéphane Ravier le signe « d’une porosité de la droite et l’extrême-droite. C’est un deuxième échec pour Martine Vassal alors qu’elle est présidente du département. »
Loin de cette analyse cadrée par les partis et leurs têtes d’affiche, Patrick Boré considère que « les élus représentent la population. Dans les grandes villes, les listes suivent les stratégies de partis. Mais dans les villes et villages, on ne regarde pas trop qui est qui, il y a des gens de tous les horizons. » Ce qui a pour résultat de permettre une représentation d’un siège à un parti d’extrême-droite par deux fois présent au second tour de la présidentielle, aussi bien qu’à un homme politique qui fuit désormais la lumière dans l’attente de son procès.
Julien Vinzent