Serge Daney – Une pensée en forme de boussole
Voyage en cinéphilie
Autour de projections, colloques, rencontres et lectures, Extérieur Nuit démêle l’héritage encore insoupçonné de Serge Daney dans l’évolution d’une cinéphilie qui n’a de cesse d’évoluer, frôlant parfois l’impasse.
En réponse, peut-être, à son propre délitement, Serge Daney a très régulièrement constaté la lente agonie du cinéma. Il entraperçut, avant bien d’autres, l’évolution crépusculaire d’un art qui avait profondément marqué le XXe siècle et qui peinerait à survivre « au marché, aux médias, à la peur, au cynisme, à la bêtise, à l’indignité .» C’est voué corps et âme à la cause cinématographique qu’il créa la revue Trafic, qui reste à ce jour l’une des meilleures publications sur le corpus même de l’image en mouvement. Daney inventait à son égard le terme de ciné-fils, mais derrière cette définition aujourd’hui galvaudée, c’est bel et bien son rôle de passeur qui marque les esprits de tous ceux qui ont vécu leur vie en vingt-quatre images seconde. Michèle Berson, tête pensante d’Extérieur Nuit, est encore l’une des rares personnes, au cœur de la cité phocéenne, à projeter ce regard incisif sur un art qui, certes, remue encore, mais dont il devient ardu de faire le diagnostic. Aussi, se pencher sur l’héritage de Serge Daney offre aujourd’hui quelques pistes salvatrices. La force de cette manifestation est d’offrir aux ciné-(petits-)fils trois angles d’approche, et non des moindres : la (re)découverte de la pensée du critique, avec la diffusion, entre autres, de l’entretien fleuve qu’il accorda à Régis Debray dans le magnifique Serge Daney, itinéraire d’un ciné-fils. Mais également la projection d’œuvres majeures et fondatrices dans l’histoire du cinéma, souvent relevées dans les écrits de celui qui fut également l’un des agitateurs d’un Libération encore enclin à l’intelligence. L’occasion précieuse, donc, de voir et revoir, sous le prisme de l’analyse cinématographique, le Rio Bravo de Hawks, le Vertigo d’Hitchcock ou Dode’s Kaden de Kurosawa. Avec comme cerise sur le gâteau, une présentation de Maine Océan par le grand Jacques Rozier. Enfin, cet événement achèvera de prendre corps par divers colloques, qui réuniront autour d’une même table de précieux invités, à l’instar de Raymond Bellour, André S. Labarthe, Jean-Louis Commoli ou Jean-Pierre Rehm. Où l’on rappellera peut-être, au détour d’une discussion, de quel ouvrage de Boileau-Narcejac s’inspira le Sueurs froides d’Hitchcock : D’entre les morts.
Emmanuel Vigne
Serge Daney – Une pensée en forme de boussole : du 16/11 au 15/12 à Marseille (Polygone étoilé, la Compagnie, CRDP, librairie L’Odeur du Temps, ABD Gaston Defferre).
Rens. 04 91 33 50 88