Le temps d’une représentation, Marc Berman redonne vie à Jean Genet, seul face au public. Un Genet au crépuscule de son existence livrant, avec Un Captif amoureux, un admirable chant du cygne… (lire la suite)
Le temps d’une représentation, Marc Berman redonne vie à Jean Genet, seul face au public. Un Genet au crépuscule de son existence livrant, avec Un Captif amoureux, un admirable chant du cygne.
Si on ne vend généralement pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué, reconnaissons d’emblée à l’entreprise menée par Anita Picchiarini et Marc Berman le mérite de ne pas avoir failli. Le solo théâtral n’est pourtant pas une mince affaire ; un exercice plutôt risqué, difficile à mettre en œuvre et à conduire, notamment pour le comédien qui y affronte la solitude du plateau. Ce qui constitue déjà une sorte de mise à nu de l’acteur a été ici envisagé dans le dépouillement le plus total ou presque. Lieu scénique resserré, noir et nu. Ni musique, ni objet, si ce n’est un livre dont Berman se saisit par deux fois pour venir ponctuer le début et la fin du spectacle. Et tout au plus, quelques éclairages changeants qui viennent épouser les différents temps du spectacle et nuancer leur intensité. C’est donc quasiment sans artifices que Berman se confronte au Captif amoureux et se présente au public. D’aucuns pourraient dire que le procédé, qui n’a rien d’inédit, n’est ni plus ni moins qu’un moyen de faire la part belle à un texte, de le mettre en relief. Indéniable évidence. Encore faut-il que les mots en vaillent la peine ce qui, dans le cas qui nous occupe, ne se conteste pas non plus. Pour mieux en juger, il convient de rappeler qu’en 1983, lorsqu’il s’attelle à la rédaction d’Un Captif amoureux, Genet a renoncé à écrire depuis près de vingt ans. Les différents séjours passés au Moyen-Orient auprès des Palestiniens — jusqu’à la visite, peu après les massacres, des camps de réfugiés de Sabra et Chatila en 1982 — redonnent le désir d’écrire à l’homme dont l’engagement n’a cessé de croître dans les dernières années de sa vie. Genet prend donc fait et cause pour le peuple palestinien et sa lutte ; il s’en fait le témoin, seul face à la page blanche. Or s’il affirme que ses souvenirs doivent être « lus comme un reportage », on retient également qu’ils sont « éclairés d’une lumière propre » et ainsi transfigurés. La plume — sous laquelle reprend vie le couple formé par un jeune fedayin et sa mère, traversant l’œuvre malgré une très brève rencontre en 1970 — n’a rien perdu de sa puissance poétique et évocatrice. Enfin, Un Captif amoureux est pour Genet un ultime acte d’écriture — l’écrivain est gravement malade, atteint d’un cancer de la gorge déclaré depuis 1979 — propice au retour sur soi et au bilan d’une vie qui, pour l’auteur, s’inscrit paradoxalement « en creux ». En quelques fragments épars mais cohérents, la représentation donne l’entière mesure d’une œuvre aussi conséquente, complexe et ambiguë. L’interprétation de Marc Berman — sobre mais littéralement « habité » par Genet — n’y est pas étrangère. Lorsqu’il retourne se saisir de son livre, on peut alors tout simplement regretter que l’instant ne se prolonge encore un peu…
Texte : Guillaume Jourdan
Photo : Alain Fonteray
Un Captif amoureux était représenté du 13 au 22/10 au TNM La Criée.