Sonic Protest à Marseille # L’Interview : Arnaud Rivière

Sonic Protest à Marseille # L’Interview : Arnaud Rivière

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Le hasard fait bien les choses. Alors que nous décidions de consacrer une page au festival dédié aux musiques libres Sonic Protest qui, après Paris, s’étend cette année sur Reims, Tours, Dijon et Marseille, se profilait également l’idée d’interviewer l’activiste folk & noise marseillais Hervé Boghossian…
Commençons par le commencement en compagnie d’Arnaud Rivière, co-organisateur d’un festival accueilli à bras ouverts par le GRIM, l’Improbable, le GMEM, Techné-RIAM et l’Embobineuse. Le printemps sera expérimental ou ne sera pas.

Pourquoi ce titre, Sonic Protest ?
Lorsqu’on cherchait un nom, en 2003, on est tombé sur cette exposition à Beaubourg, Sonic Process, censée faire le point sur les liens entre arts plastiques et sonores, de façon assez pesante. Les travaux présentés étaient vraiment nazes. C’est donc un titre en réaction, mais ça reste avant tout une blague, certes à propos, car les esthétiques qui se rencontrent dans le festival se définissent également dans la protestation.

Connais-tu la scène marseillaise ?
Je commence un tout petit peu à connaître Marseille. Je suis passé plusieurs fois, pour des activités musicales, avec Data et l’Embobineuse, les RIAM ou l’Improbable. Je ne connais pas très bien les musiciens locaux, excepté eRikm, Jean-Marc Montera, Philippe Petit… Pour l’instant, je n’identifie pas une scène marseillaise. Mais je perçois quelque chose de super vivant. D’ailleurs, je suis venu une semaine pour le festival Chhhhhut et j’ai trouvé ça super.

Y a-t-il une esthétique que vous conchiez ?
Evidemment, toutes les musiques de marché. Nous sommes affiliés aux musiques expérimentales, mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas tout dit. Aux débuts du festival, on parlait de musiques noise, drôles et drone. Depuis, on a élargi le champ de vision, on tient également à présenter des choses très différentes à la suite dans une même soirée.

On célèbre cette année les cent ans de John Cage. Que représente-t-il à tes yeux ?
J’oublie un anniversaire sur deux dans ma famille, alors… Je ne suis pas très « célébration ».

Peux-tu nous parler du graphisme de l’affiche ? Un clin d’œil à Métropolis ?
Oui, il y a forcément un clin d’œil aux années 30. C’est Cizo, un graphiste qui compte dans le paysage français (Les Requins Marteaux), qui a réalisé l’affiche.

A l’heure d’Internet, penses-tu que l’on assiste à un regain d’intérêt vis-à-vis des pratiques expérimentales ?
Le lien entre art et Internet ne me paraît pas toujours évident. C’est un support de création, mais pour des formes très particulières. Ça a principalement permis non pas un regain d’intérêt, mais un essor des pratiques comme le hacking. Il m’arrive très souvent d’être en contact avec des artistes qui travaillent le code. Le hardware et le software sont des espaces que l’on peut s’approprier en les bricolant. C’est comme avec l’arrivée des tourne-disques, qui n’étaient pas, à l’origine, conçus pour composer de la musique mais juste en écouter. Pareil pour les bandes magnétiques et tous les outils.

Comment vis-tu le présent en matière de création musicale ?
Un peu comme les autres faits sociétaux. Il y a une profusion d’œuvres. La musique semble être traitée comme n’importe quelle autre information, jetable Ça me paraît important de ne pas foncer tête baissée et de freiner un petit peu, afin de dégager ce qui est précieux. La période est confuse, mais pour nous, Occidentaux : le point de vue d’un Coréen ou d’un Africain n’est forcément pas du tout le même.

Penses-tu que l’on assiste à un désintéressement progressif pour les musiques enregistrées, désormais banalisées ?
De façon générale, on écoute énormément de musique enregistrée, elle est partout, on la copie, elle sature l’espace. Regarde le nombre de gens qui ont un casque dans les transports… Mais, même si dans ma pratique, je suis éloigné de l’enregistrement (j’ai toujours préféré le concert), il reste quelque chose de très important en termes d’écriture.

Pourrais-tu nous proposer une définition de la musique noise ?
On ne revendique pas cette appellation. Il y a d’ailleurs trois types de noise à la base : la noise rock, la japa-noise et la noise US. Personnellement, les anglicismes m’énervent un peu. Je préfère des termes plus flous, parler de musiques libres, étonnantes. Avec The Nihilist Spasms Band par exemple, on parlait de noise, mais parce qu’on était en 65 ! Maintenant, je vois dans ce terme une sorte de caricature.

Quel est le prochain défi que devra relever le festival ?
Survivre. Proposer des soirées en dehors de nos frontières, pour continuer la balade.

Propos recueillis par Jordan Saïsset
Photo : Guillaume Constantin

Sonic Protest à Marseille : du 9 au 15/04 à la Livery (4 rue Duverger, 2e), au Temple Grignan (15 rue Grignan, 1er), au Polygone Etoilé (1 rue Massabo, 2e), à l’Embobineuse (11 Bld Bouès, 3e) et à Montévidéo (3 Impasse Montévidéo, 6e).
Rens. www.sonicprotest.com

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Tapetronic + Le Groupe de Bamako + Sugarcraft + Bonne Humeur provisoire + Chantal Morte > le 9 à La Livery (4 rue Duverger, 2e)
Afin de fêter comme il se doit l’ouverture de l’édition marseillaise du festival, l’Improbable n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Que ce soit en compagnie du scratcheur/bricoleur de cassettes frapadingue Tapetronic, des Marseillais déglingués du Groupe de Bamako, avec les sucreries électroniques de Sugarcraft, ou le hip-psych-hop de Bonne Humeur Provisoire, sans oublier l’indus-trad morbide de Chantal, nous passerons par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Un peu comme si l’on mangeait des Dragibus à la mort-aux-rats… Oh oui, ça va commencer fort les enfants !
(NB : l’Improbable organise également des projections le 12 au Polygone Etoilé)
PM

Tony Conrad > le 10 au Temple Grignan
Tony Conrad, « l’évènement dans l’évènement », violoniste hors norme, est une figure emblématique des courants expérimentaux qui, selon Arnaud Rivière, a depuis les années 60 « construit des passerelles entre le rock pur et des formes plus abstraites. » Proche de John Cale et La Monte Young (avec qui il fonda The Dream Syndicate), du Velvet Underground (nom tiré d’un ouvrage sur les pratiques SM dégoté par Lou Reed chez Conrad) et de Charlemagne Palestine, c’est l’instigateur de la « dream music » : on retrouve son ingéniosité aussi bien dans les soubresauts des courants minimalistes que dans l’avant-garde cinématographique. Dans une interview pour Mouvement, il déclarait : « Dans mes performances, j'aime revenir au degré zéro du son, qui est la structure harmonique. » Une grande rencontre.
JSa

Keiji Haino + Terrie Ex & Paal Nilssen-Love + Bim Johnson > le 13 à l’Embobineuse
Véritable pape de l’avant-garde expérimentale nippone et internationale, Keiji Haino fascine depuis les années 70 : inclassables, ses compositions oscillent entre rock et musique improvisée (puisqu’il faut mettre des mots), allant jusqu’à puiser dans le baroque séculaire. « Le Japon est un pays qui compte beaucoup pour la musique expérimentale, et Keiji Hano est un de ses éminents représentants », précise Arnaud Rivière. Un splendide touche-à-tout qui partage l’affiche avec le guitariste néerlandais fondateur du célèbre The Ex, lui-même « accompagné » par un batteur d’exception : ça donne Terrie Ex & Paal Nilssen-Love, ou une rencontre d’exception entre le punk/rock et le free jazz. Vous apprécierez la performance de Bim Johnson, aventurier sonore marseillais, surprenant et drone.
JSa

Les Hauts de Plafond + Ghetto Blastard + Meurtre > le 14 à l’Embobineuse
Si vous comptez parmi les petits chanceux qui se sont inscrits à temps pour assister à l’atelier du luthier (de Sonic Youth, entre autres) Yuri Landman, c’est après avoir assemblé votre instrument (un Home Swinger) que vous vous laisserez porter par une légère odeur de soufre jusqu’à l’Embobineuse. Là, toujours un peu en profondeur dans les méandres post-apocalyptiques de la Belle de Mai, vos oreilles saigneront à l’écoute de la performance de Jean-Marc Busson (Ghetto Blastard). Axée autour d’une énorme radio portative, dans un tintamarre radical et percu-jouissif, elle vous poussera probablement au Meurtre. Mais un Meurtre sans victime, comme une orgie sonore dans la joie. Vous en aurez jusqu’au cou, mais ne vous inquiétez pas, tout va très bien se passer.
PM