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Sous les immeubles en péril ou certains chantiers, les eaux souterraines refont surface

Au gré des chantiers ou de la mise en péril d’immeubles, la question des eaux souterraines refait surface. Elle souligne surtout la méconnaissance générale de l’état des sols et de la présence d’eau.

 

Rue Fontaine de Caylus, dans le quartier du Panier, Julie, locataire, emballe ses affaires. “Depuis des mois, le 11 de ma rue a été mis en péril, mais chez nous au 15 “ça allait”. Et puis un expert de la mairie est venu début septembre et a remarqué des désordres dans l’immeuble voisin du mien. Des gonflement d’eau dans les murs en rez-de-chaussée… L’arrêté de péril est tombé au numéro 17. L’expert est passé nous visiter dans la foulée car apparemment, ça viendrait de chez nous. Donc vu ce qui se profile, je prépare mes valises : on va sans doute très bientôt se faire expulser.
Avec environ 3000 personnes délogées en un an, la situation de Julie, même si elle l’empêche très légitimement “de dormir plus de trois heures par nuit” est d’une tragique banalité. À un détail près : l’origine supposée du mal. “Tout le monde dit dans le quartier que ça viendrait des rivières souterraines qui s’écouleraient depuis une réserve d’eau sous la place des Moulins”, explique-t-elle.

Le mythe des cours d’eau

La réunion du collectif du Panier, qui a eu lieu le 2 octobre dernier pour évoquer la menace qui pèse sur son immeuble et sur d’autres bâtiments du quartier a d’ailleurs beaucoup porté sur le sujet. Remontées capillaires inexpliquées et expulsions à craindre… Les riverains soupçonnent très fortement des cours d’eau en sous-sol d’être à l’origine de leurs caves “humides depuis des années” dans des immeubles anciens, souvent construits sans fondations appropriées. ”Le problème, c’est qu’on n’a aucune certitude, se désole Julie. On pense que ça vient de là, mais au fond, on n’en sait rien.”
Il n’y a pourtant pas qu’au Panier que cette rumeur urbaine imprègne les esprits. À Saint-Victor (7e), Gilles, propriétaire de deux biens en rez-de-chaussée rue Rigord et rue Neuve-Sainte-Catherine, constate des troubles nouveaux depuis le démarrage du chantier sur le site du boulevard Corderie non loin de là. Et pose une hypothèse similaire. “Avant ça n’arrivait jamais, et depuis deux ans, on a des murs en sous-sol et en rez-de-chaussée qui se transforment en fontaines dès qu’il a plu. On ne pourra jamais le prouver mais moi j’en suis sûr : le chantier Vinci a dû faire dériver une rivière souterraine, il y en a plein à Marseille, elles descendent de la Bonne Mère”.

« J’ai beau refaire les peintures, ça cloque »

Avec d’autres copropriétaires, il a décidé de faire appel à un géotechnicien pour effectuer des prélèvements en vue d’assainir. Cette idée qu’une construction récente a fait “dévier” un canal souterrain, c’est aussi celle de Mme Patay, retraitée, qui vit pourtant dans un tout autre quartier, à l’angle de la rue des Vertus et Auguste Blanqui (5e). « J’ai acheté mon appartement en rez-de-chaussée il y a 25 ans et à l’époque il n’y avait aucun problème. Et puis ils ont construit un ensemble immobilier rue des Vertus et depuis, j’ai beau refaire la peinture, au bout d’un an, ça cloque à nouveau chez moi et dans le hall, se désole la vieille dame. J’ai fait venir quelqu’un de la mairie mais il m’a dit qu’on ne pouvait rien faire. Avant de construire il faudrait quand même savoir ce qui se passe sous les immeubles !” On touche au cœur du problème. Car au-delà des conversations de rue et des suppositions, difficile de trouver des informations solides sur ces rivières mouvantes…
Pour faire le clair sur l’hydrogéologie marseillaise, le citoyen lambda dispose de peu de ressources. A l’échelle nationale, c’est le BRGM, le bureau des recherches géologiques et minières, qui met à disposition de tout un chacun cartes et données. Las, sur ce sujet, il n’existe que deux rapports : l’un de 1971 et l’autre de 1973, et fort peu précis. “C’est même pire que ça, s’emporte Michel Villeneuve, géologue et chercheur honoraire au CNRS. les seuls relevés datent de 1934 en ce qui concerne la nature des sols. Et pour l’hydrogéologie, il n’y a eu qu’un forage jusqu’à 800 mètres, à saint-Mauront, en…. 1925 ! A l’époque, on croyait qu’il suffisait de n’en faire qu’un et que selon ce qu’on y trouverait, on pourrait en déduire que c’est pareil partout dans le bassin du centre ville. Aujourd’hui on sait que c’est complètement faux. Il peut y avoir une nappe phréatique à un endroit et 10 mètres plus loin un canal…ou pas. Toutes les grandes villes procèdent à des forages à intervalles réguliers – à Paris par exemple c’est quasiment tous les mètres. Toutes, sauf Marseille !”

« Les voies d’eau anciennes se réactivent »

Appelé à fournir une expertise à la demande du ministère du Logement sur les causes du drame de la rue d’Aubagne, il a clairement pointé le problème des écoulements souterrains. “Pour moi il y a deux causes possibles à l’effondrement des immeubles : une possibilité sismique, assez faible, et le problème de ces cours d’eau, qui en l’occurrence s’écoulaient depuis le Jarret et allaient à l’époque se jeter dans la Canebière. Depuis l’Antiquité et jusqu’au début du XXe siècle, il y avait des puits partout à Marseille, et lors de fortes pluies, il est évident que les voies d’eaux anciennes se réactivent. Ces canaux font alors gonfler l’argile en surface dans le bassin sud, ce qui fait bouger les immeubles, et imprègne les caves et fondations.” Mais depuis qu’il a rendu ses conclusions en mars dernier devant le ministre et les adjoints au maire… rien. Le dossier semble clos.

Avec d’autres spécialistes, Michel Villeneuve doit bientôt présenter la nouvelle carte actualisée de la commune, dont la notice, un énorme document de 350 pages est déjà consultable sur le site du BRGM. Mais dans cette somme, deux paragraphes seulement concernent l’hydrogéologie, et ils sont pour le moins sommaires. À l’aube de la campagne électorale, le chercheur n’a qu’une revendication : “Quel que soit le prochain maire, qu’il fasse embaucher un géologue et qu’on procède à des forages !”

« Les données, personne ne les analyse »

Pour l’instant, seul et de façon bénévole, il se déplace sur chaque chantier dont il a connaissance pour effectuer des prélèvements par ses propres moyens. Il en a déjà effectué plus de 700. “Mais je ne suis plus tout jeune : imaginez qu’il m’arrive quelque chose, que deviendront ces données ? avertit-il. Et mes moyens sont limités ! Seulement 10% environ des chantiers envoient d’eux-mêmes leurs prélèvements à un organisme qui dépend du BRGM et qui s’appelle la Banque du sous-sol. Mais ces données correspondent à des forages qui vont au maximum jusqu’à 30 mètres et surtout : personne ne les analyse, donc ça ne sert à rien.”

De fait, sur le site de la Banque du sous-sol, on peut consulter de nombreux relevés de forages à quelques mètres archivés à Marseille, mais on n’obtient pour autant pas de carte des courants qui traverseraient la ville. À tel ou tel endroit est constaté “un puits” ou une présence d’eau, souvent sans plus d’explication. Cependant, les informations dont dispose le chercheur laissent penser que les habitants qui incriminent ces fameuses voies d’eau souterraines ne se noient pas en conjectures fantaisistes.

Un seul hydrogéologue pour le sud-est

Sur le site antique de la Corderie par exemple, “il y avait un puits”, assure-t-il. Mais comme le chantier de la nouvelle construction n’a pas laissé beaucoup de place aux fouilles archéologiques, nul ne sait plus ni quoi ni où il allait puiser. À l’Agence de l’eau, institution qui dispense aides et conseils aux communes et intercommunalités, on n’en sait pas plus. Pour toute la partie “Sud-Est de la France”, il n’y a qu’un seul hydrogéologue.

Et du côté de la Dreal, la Direction régionale de l’aménagement, de l’environnement et du logement, on déplore une lente mais certaine érosion du personnel et des compétences. “Dans le bassin marseillais, dès qu’une source n’est plus utilisée, on perd sa trace et toutes les connaissances qu’on avait sur son existence”, s’agace-t-on en interne. En attendant, au Panier, Julie continue d’emballer ses affaires et se cherche un nouveau logement. Avec une seule consolation : au moins elle n’est pas, comme sa voisine, propriétaire d’un immeuble… dont on ne sait pas sur quoi il est construit.

 

Anna Borrel