Stimmung de Patricia Boucharlat à la Galerie Territoires Partagés
Par-delà les nuages
La galerie Territoires Partagés quitte la rue Nau pour s’installer rue de la Loubière, dans un petit espace ne révélant qu’une des nombreuses actions menées par son directeur Stéphane Guglielmet. Parmi lesquelles un soutien durable à la jeune création contemporaine, comme en témoigne Patricia Boucharlat, première invitée dans ces cimaises fraîchement repeintes.
Depuis 1998, l’artiste plasticien Stéphane Guglielmet, initiateur du projet de la galerie ambulante et directeur de la galerie Territoires Partagés, sillonne Marseille et ses environs pour mener une bien jolie campagne d’initiation à l’art contemporain à l’attention de publics non initiés. Une démarche qui mise sur l’excellence des propositions artistiques et amène le public à aborder la création actuelle par la rencontre et le questionnement autour d’œuvres qui, grâce à la parole de Stéphane Guglielmet et aux ateliers de pratique artistique, révèlent tout leur mystère… Son action résonne tout particulièrement avec les discours gouvernementaux qui semblent reconnaitre aujourd’hui l’importance de ce qu’on appelle « l’éducation artistique ». Cette dernière dépasse le stade de l’initiation à l’art contemporain, en permettant de se confronter à une forme et à une idée, d’apprendre à la déchiffrer et donc à comprendre une œuvre d’art sans pour autant y adhérer à chaque fois…
C’est avec l’exposition Stimmung de Patricia Boucharlat que la galerie Territoires Partagés inaugure ses nouveaux locaux. Un petit espace, marchant sur les pas de la Galerie du Tableau, qui propose un cycle d’expositions tout au long de l’année et par laquelle les artistes les plus remarquables de ces dernières années sont passés. Patricia Boucharlat, que l’on connaissait surtout pour ses photos, accueille le spectateur avec un dessin mural, réalisé avec la technique du poncif (1), qui se déploie sur l’ensemble du mur. Plutôt que la pratique du wall drawing, qui nécessite d’habitude l’aide d’un vidéo projecteur afin d’agrandir le dessin et de le conformer aux propositions du mur en question, Patricia Boucharlat préfère une technique plus ancienne, celle d’un calque à petits trous, presqu’une œuvre en soi. Sur ce dessin, des ondes évoquent un paysage vallonné ou volcanique, d’où s’échappe une coulée de lave rouge incendiaire. Les lignes suggèrent plus qu’elles ne se révèlent, et leurs sources restent muettes. Mais au-delà de l’image et de la représentation s’affirme un trait au point dont les proportions s’harmonisent avec l’espace physique de la galerie. Le support éphémère du dessin rajoute à la fragilité de ce trait discontinu, comme si ici se jouait l’esquisse d’une œuvre que l’on suivra au fur et à mesure des différentes séries de traces graphiques de l’artiste. Dans la seconde salle, Patricia Boucharlat présente une série de photographies, presque toutes en noir et blanc, à deux exceptions près, une sérigraphie et un volume. Les idées d’espace et de paysage glissent de sa pratique du dessin à celui de la photographie : des paysages sans personne s’étendent à perte de vue ou se confinent aux montagnes qui en dessinent les contours. Des images saturées dans un contraste noir et blanc fort, où les noirs se révèlent d’une intensité et d’une qualité éloquentes, où quelque chose de charbonneux s’extrait de ses photographies. Une matière qui nous ramène au dessin, au fusain plus particulièrement. La présence de bûches de bois calcinées dans la pièce n’est pas étrangère à cette confusion des genres entre les deux mediums, qui dialoguent sans cesse dans l’exposition. Que ce soit dans les vues gris bleuté de Camargue ou dans celles enneigées d’Allemagne, les paysages de Patricia Boucharlat ont quelque chose d’introspectifs, nous rappelant l’expérience romantique du « paysage sublime » et de l’interaction du paysage sur celui qui le regarde. Ils évoquent le voyageur de Friedrich contemplant une mer de nuages dans un paysage montagneux, ils préfigurent le calme avant la tempête ou bien nous plongent dans une quiétude qui ne sera bouleversée que par l’intrusion de l’homme. Intervient cette notion de stimmung (« humeur, ambiance »), qui donne son titre à l’exposition, traduisant la disposition à être complètement en prise avec ce que l’on regarde, une expérience absolue qui modifiera qui nous change pour toujours. « Cette poétique du paysage peut s’interpréter dans le sens d’une révélation du chaos : magnifique confusion et profusion de l’existant, mais aussi radicale négativité de l’être. » (Yvon Le Scanf)
Céline Ghislery
Stimmung de Patricia Boucharlat : jusqu’au 12/04 à la Galerie Territoires Partagés (27 rue de la Loubière, 6e).
Rens. : 09 51 21 61 85 / 06 88 16 21 11 / artccessible-territoires-partages.blogspot.fr
Pour en (sa)voir plus : www.patriciaboucharlat.com
Notes
- « Dessin piqué sur lequel on passe une ponce de manière à reproduire en pointillés le contour du dessin » (Le Petit Robert)
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