Syriana – (USA – 2h08) de Stephen Gaghan avec George Clooney, Matt Damon…
Ça faisait un petit moment qu’on attendait ça, depuis les années 70 en fait : le réveil de la conscience politique à Hollywood, traditionnellement rebelle mais devenue depuis une médiocre usine à pop-corn largement dépassée par la télévision… (lire la suite)
Traffic perturbé
Ça faisait un petit moment qu’on attendait ça, depuis les années 70 en fait : le réveil de la conscience politique à Hollywood, traditionnellement rebelle mais devenue depuis une médiocre usine à pop-corn largement dépassée par la télévision. Et puis le 11 septembre est passé par là, Bush fils est passé par là, Michael Moore est palmé par là — encore il y a peu, le documentaire (militant) semblait seul à même de traiter correctement des questions sociales, économiques et (géo)politiques. Saisissant la force potentielle de la fiction face à de tels enjeux, nombre de cinéastes yankees « s’engagent » aujourd’hui, avec plus (Jarhead) ou moins (Lord of war) de réussite, sur la voie du film à thèse. A tel point que la réapparition des Dossiers de l’écran sur la 2 n’aurait rien d’étonnant… De cette tendance à la « gauchisation » du ciné US, l’histoire retiendra certainement l’action menée depuis 2000 par la bande à Clooney (qui n’a que son prénom en commun avec son exécrable président) et Soderbergh via leur société de production Section 8. Soit une poignée de films (Traffic, Good night, and good luck.) et une série télé (K-Street), dont le positionnement critique leur vaut à la fois moult nominations aux Oscars et les foudres récurrentes des médias ultraconservateurs. Film choral et récit labyrinthique à l’instar de Traffic, Syriana est donc censé enfoncer le clou en jetant un regard sans complaisance sur les malversations américaines dans les pays producteurs de pétrole. La référence au film de Soderbergh n’est pas innocente : Stephen Gaghan en avait signé le scénario et en livre ici une sorte d’équivalent « pétrolier ». Ou comment, tandis qu’un avocat, dont les dents rayent évidemment le parquet, se charge de la fusion douteuse entre deux compagnies pétrolières et qu’un vieux briscard de la CIA se voit assigner comme ultime mission l’assassinat d’un futur émir réformiste, évidemment peu favorable à l’omniprésence américaine au Moyen-Orient, un jeune ouvrier pakistanais fait l’apprentissage du terrorisme à l’école coranique. Les multiples interactions entre ces protagonistes (auxquels il faut ajouter une demi-douzaine d’autres, tous aussi nécessaires à l’intrigue) offrent matière à un puzzle géopolitique touffu, pour ne pas dire indigeste (comme la phrase précédente). Extrêmement documenté et ambitieux, Syriana est une œuvre dense, très (trop) dense. Et forcément trop elliptique : l’impression d’avoir avalé une saison entière de 24 heures chrono en deux heures seulement nous incite à penser que le film aurait gagné à être plus long, voire développé en série. Dommage que l’unique reproche que l’on puisse adresser à Gaghan soit aussi le plus grave s’agissant d’un film politique : en faisant d’un sujet complexe un film compliqué, le réalisateur désolidarise le spectateur de son propos, pourtant passionnant.
CC