Je t’aime, je t’aime proposée par la Collection Lambert et Montévidéo
Cent états d’aime
D’un jeu de répétition naît le grand tourbillon. L’exposition Je t’aime, je t’aime proposée par la Collection Lambert et Montévidéo remet en question la prétendue banalité du sentiment amoureux. Ici, l’amour se répète volontairement pour être aussi destructeur et vulgaire qu’émouvant ou apaisant. Les œuvres, soigneusement sélectionnées, permettent à l’art de semer la vérité et de s’aimer… plutôt deux fois qu’une.
C’est dans un espace plein de charme et de vie que l’amour vient pousser son plus beau cri. Au cœur de Montévidéo, le visiteur se plaît à découvrir un ensemble d’œuvres aussi complexe et euphorisant qu’un rendez-vous galant. Et ce (premier) rencard ne lésine pas sur la qualité puisque la Collection Lambert ouvre des perspectives variées.
Premier tourment expérimenté : la Fusion de François-Xavier Courrèges, qui offre le spectacle filmé d’un amour consumé (à grosses gouttes de cire). Les protagonistes ? Deux bougies tournant sur elles-mêmes et dépérissant au son d’un remix de Depeche Mode (Enjoy the silence) électrisant. On en saisit que la fin d’une histoire est fatalement atroce — ici, les corps fondent et se « cadavérisent » jusqu’à disparition totale. Le beat est pop, le décor, acidulé, et la finalité, génialement indigeste. De quoi devenir « cir(e)conspect » en matière de cœur ?
Comme pour mieux faire résonner les œuvres entre elles, la configuration circulaire de la seconde salle d’exposition vient aimanter toutes celles et ceux que l’amour rend romantiques ou écorchés. Sous la lumière, Le Miroir d’Elina Brotherus rappelle que l’appréciation de soi est indispensable mais peu accessible. La buée s’efface et le regard devient inquisiteur. Dans la glace apparaît soudain la vérité d’un visage, d’un individu qui offre à son trouble la possibilité d’un reflet. C’est aussi l’inévitable souffrance d’une histoire dévastatrice que nous conte Nan Goldin dans un slide-show aussi personnel que percutant. Diapositives qui défilent d’abord dans la décadence, l’insouciance, le sexe, pour se faire ensuite violemment engloutir par les larmes et la noirceur. Cette dégénérescence amoureuse nous habite un instant. Point de répit pourtant puisque viennent ensuite se dévoiler — sans pudeur aucune — des intimités homosexuelles tantôt porno, tantôt câlines (Nan Goldin toujours), mais aussi la perversité de deux jeunes nymphettes probablement plus salaces et dérangées que leurs robes Vichy ne veulent bien le laisser croire (Jo Lansley & Helen Bendon).
L’amour est libre ; il se balade de photos en installations. Le néon I can burn your face (Jill Magid) illumine l’esprit en suggérant que bien connaître un être, c’est aussi pouvoir aisément l’anéantir. À quelques pas de là, les « Je t’aime » sont balancés par une vingtaine d’hommes capturés dans de petits écrans de télévision. Si l’intention de leur message se veut cajoleuse, ces déclarations simultanées se révèlent presque anxiogènes.
Doubler le « Je t’aime », c’est aussi lui faire emprunter des chemins contradictoires. Chaque artiste pose un regard précis sur la rencontre et l’attirance entre les êtres. Obsédant mais juste, bouleversant mais réaliste. Voilà donc une déambulation qui ne laisse pas indemne. Au cours de l’exposition, les liens se font et se défont : du rire aux larmes, du tendre au juteux, du splendide au morbide. Âmes sensibles ne surtout pas s’abstenir !
Pauline Puaux
Je t’aime, je t’aime : jusqu’au 25/02 à Montévidéo (3 impasse Montévidéo, 6e).
Rens. : 04 91 37 97 35 / www.montevideo-marseille.com