C’est une idée toute simple, et en même temps, d’une classe folle. Partager la musique. Oh, on ne parle pas ici du peer-to-peer, ni d’une quelconque manière de spolier les artistes en émergence (frénétiquement, et sans même s’en apercevoir). Non : nous parlons de ce moment fragile où, un peu effrayé mais inéluctablement attiré par l’inconnu, une main vient se poser sur votre épaule pour vous montrer la direction. Celle du grand frère, du pote de lycée, de l’un des rares disquaires spécialisés encore en activité. Celle de Tigersushi. A l’aube des années 00, un certain Joakim Bouaziz, musicien et surtout mélomane de son état, choisit d’utiliser les nouvelles technologies pour (faire) découvrir des artistes, de l’ombre en général, d’hier et d’aujourd’hui, mettant à profit ses goûts sûrs (et une connaissance assez encyclopédique des musiques « pop », au sens large et à la marge). Deux ans sont nécessaires pour mettre en place ce qui va devenir un webzine de référence, et pas seulement dans le pays, puisque Tigersushi – qui propose une radio en streaming, des dj-mixes à télécharger, des interviews et des chroniques… – va progressivement s’imposer dans les réseaux underground comme un modèle de goût. Qui d’autre en France peut se targuer d’avoir une identité aussi forte et, par ses choix, éclatée à la fois ? Sans doute les gens du D*I*R*T*Y Sound System qui, avec le recul, suivent le même chemin[1] : on commence par partager sa passion, et puis on se met à rééditer des maxis parce que l’envie est trop forte (la série More G.D.M et les edits de Pilooski : même combat)… Ce sont donc les maxi-vinyles qui amènent Tigersushi à devenir un label. Un label qui sait s’entourer des plus grandes oreilles pour ses compilations (Dj Morpheus, Ivan Smagghe sur la subdivision Kill The Dj, les Ecossais d’Optimo dont les propres sorties sont ici relayées…), un label qui prend le temps de développer des artistes à mille lieux les uns des autres (l’electronica planante de Principles of Geometry, le post-punk latino de Panico, les performances avant-gardistes de Sir Alice…) mais qui ont en commun d’avoir une très large culture musicale (Poni Hoax, My Sister Klaus). Un exemple à suivre.