Tarot.move aux ABD Gaston Defferre
Madame iRma
Le collectif de création audiovisuelle Cailloux, initié par Suzel Roche, livre une curieuse installation de prédictions virtuelles aux ABD Gaston Defferre : le Tarot.move. Sa particularité ? Les cartes de tarots traditionnelles sont ici remplacées par des vidéos expérimentales.
En 1940, le journaliste américain Varian Fry réunit, avec l’appui d’Eleanor Roosevelt, les artistes français désireux de quitter le pays pour éviter de finir sous la coupe des Allemands. C’est dans ce contexte qu’André Breton et Max Ernst atterrissent à la villa Air-Bel, à la Pomme. Durant leur séjour, ils entreprennent, pour tromper l’ennui, de redéfinir le tarot divinatoire. Le « Jeu de Marseille » est né. Il y a trois ans, le collectif Cailloux reprend l’idée à son compte et crée une installation virtuelle : le Tarot.move.
Composé majoritairement de journalistes « frustrés des normes imposées sur les formats télévisuels », le collectif voit le jour en 1998. « A la base, on faisait pas mal de vidéos expérimentales. On essayait de changer les formes afin de modifier le regard sur les documentaires de création et sur l’actualité, explique Suzel Roche, réalisatrice et coordinatrice du projet. Le documentaire et le journalisme sont deux formes différentes, mais elles ne doivent pas être mises dos à dos. »
Dans un fauteuil blanc en forme d’œuf (bien dissimulé dans les Archives), décoré par le peintre aveugle Marcel Bataillard, une tablette reliée aux enceintes du fauteuil nous sert à lancer l’application, qui promet de prédire l’avenir des curieux, via des vidéos. Une voyante virtuelle propose, au choix, un tirage « flash » (prédiction rapide en une séquence) ou un tirage « en croix » (en quatre séquences pour une durée de vingt minutes environ). Ce deuxième mode, plus immersif, permet de profiter pleinement de l’expérience. S’engage alors un jeu d’interprétations entre le spectateur et les vidéos, dans lequel il devra discerner selon son libre-arbitre la différence entre ce qu’il voit, ce qu’il a envie de voir et ce qu’il croit voir. Afin de jouer le jeu complètement, votre dévoué serviteur s’est posé la question suivante : « Est-ce que ma vie professionnelle va être une réussite ? » La première vidéo, censée remplacer la carte « Roue de la Fortune », représente un long tunnel débouchant sur la tour Eiffel, tandis que des personnes jouent au loto et qu’un couple s’embrasse dans une fête foraine. Premières conclusions : la route va être longue, il me faudra de l’abnégation, mais je devrais m’en sortir. Dans la deuxième séquence, un vieil Américain (le Pape), vraisemblablement un clochard, mais en costard tout de même, vend des économes dans la rue. Le troisième film (le Chariot) illustre la liesse marseillaise lors du sacre de l’Olympique de Marseille en 2010 : cris de joie, ferveur populaire, mais aussi tirs de lacrymo et scènes d’échauffourées. A cet instant précis, je me résous à connaître la gloire un jour ou l’autre, mais aussi à dégringoler plus vite qu’un candidat de la StarAc’ version NRJ12. Enfin, la dernière vidéo met en scène, dans le parc Longchamp, un artiste peignant toutes ses œuvres en un seul tracé ou presque. J’avoue n’avoir pas saisi le message… Peut-être que la prédiction se foutait de moi, qui n’ai pas de talent particulier… Mais le titre de la séquence, l’Etoile, vient me rassurer. Demain, j’envoie ma reprise de Yakalelo à The Voice !
L’expérience doit aussi beaucoup au travail sonore de Géry Petit, qui a créé un fil conducteur musical faisant le lien entre les différentes séquences. « L’objectif, c’était d’avoir un retour en temps réel avec l’interactivité de la borne, avance Suzel. Cette installation s’adresse à tout le monde, même aux sceptiques. Le public doit se réapproprier les images. Certains se posent des questions cruciales et vraiment profondes. Mais on peut aussi vivre l’expérience sans tout prendre au premier degré. » Au-delà de l’expérience ludique, le collectif Cailloux livre via cette installation un témoignage sur son époque et une société fragile.
Quentin Baraton
Tarot.move : pendant toute l’année aux ABD Gaston Defferre (20 rue Mirès, 3e).
Rens. https://www.facebook.com/Tarotmove / http://www.zinclafriche.org/dyn/spip.php?article56