Tempo Vicino de Lucinda Childs
Energies positives
A l’occasion de La danse dans tous ses états, les danseurs du Ballet National de Marseille trouvent l’occasion d’exprimer leur technique sur des variations qui abordent en premier lieu la beauté du geste.
Pourquoi Lucinda Childs continue-t-elle de nous faire rêver ? Parce qu’elle a su développer, depuis les années soixante-dix, un travail qui contourne les effets de mode et ne garde que l’essence du geste. En collaborant avec des artistes minimalistes comme Philip Glass, Sol LeWitt ou Bob Wilson, elle aborde la scène et la musique du côté du papier millimétré, de la gamme et de ce qui constitue un accord. Elle regarde l’espace comme un quadrillage où les angles droits et les diagonales sont autant de repères sujets à des variations de positions. La danse se regarde de face, mais elle peut aussi se construire par le dessus. Avec la pièce Tempo Vicino, Lucinda Childs déshabille la surface de ses accessoires, l’intervention plasticienne repose sur un niveau de lumière, le seuil minimum et nécessaire pour rendre les choses claires. Le regard se laisse bercer par la douceur d’un intérieur irréel, les costumes pourpres ne laissent ressurgir que le chaleureux d’une couleur et le corps peut envisager une mobilité qui commence par la plus simple des positions : la station debout. Petit à petit, les pas se multiplient et s’accélèrent, petit à petit, les diagonales se laissent bercer par des demi-tours et des déboulés jetés, mais tout reste très confiné, sans crier, dans un flux continuel où le fil du mouvement passe d’un groupe à un autre, d’un solo à un binôme. Les contretemps jouent le jeu du décalage et de la surprise, ils testent la vitesse des pieds et la désynchronisation à la manière d’une dodécaphonie. Tempo Vicino est une expression de la grâce dénuée de synopsis. Ici, pas de héros, pas de fiction, rien ne nous autorise à trouver le fil d’une histoire, les sentiments reposent sur le délié, le saccadé, sur ce dessin permanent du groupe qui se remplit et se vide, se croise et s’entremêle jusqu’à la tombée du silence sur une seule note. Le public est abandonné dans cette élévation qui nous porte jusqu’au-dehors, quelque chose d’indéfinissable. Merci Madame.
Texte : Karim Grandi-Baupain
Photo : Kishin Shinoyama
Tempo Vicino de Lucinda Childs + Le trouble de Narcisse de Frédéric Flamand + Inverses d’Annabella Lopez Ochoa : jusqu’au 5/06 au Ballet National de Marseille (20 Bd de Gabès, 8e). Rens. 04 91 327 327