Enfants du Soleil
La compagnie de cirque québécoise Les 7 doigts de la main est l’invitée d’honneur des Théâtres (Aix-Marseille) pour un Temps Fort Cirque imaginé par Dominique Bluzet, décliné en trois spectacles, trois lieux et trois thématiques. Rencontre.
Trois temps comme un seul et même élan pour partir à la rencontre d’un univers poétique et drôle, mariant arts de la scène, théâtre, cirque, danse, musique, performances et… surprises !
Une joyeuse main basse sur la ville pour Les 7 doigts de la main qui se clôturera par la présentation en première européenne de leur dernier opus, Cuisine et confessions, coproduit par le Grand Théâtre de Provence et le CNCDC de Châteauvallon, qui les suivent depuis dix ans.
Co-fondateur de la compagnie, Sébastien Soldevila a quitté le Cirque du Soleil, où il était acrobate, danseur et interprète, pour devenir créateur. « Nous sommes les enfants du Soleil. Tous les sept, nous avons créé le collectif pour faire de la mise en scène. Nous voulions un cirque plus humain, loin de l’extravagance du Cirque du Soleil et de ses super-héros. Pour Loft, notre première création, nous étions dans un appartement en pyjama. »
Sébastien revendique aussi le combat pour la culture et sa reconnaissance institutionnelle : « Nous avons été les premiers au Canada à obtenir des subventions sans rentrer dans la catégorie Théâtre ou Danse. Se battre pour cela est important, ne serait-ce que pour les autres petites compagnies qui vont suivre. »
La notion de transmission s’avère importante pour la compagnie. Dans Traces, « il s’agissait de se poser une question simple : que laisserons-nous si jamais il y avait un cataclysme ? Des vivres, de la culture ?» La pièce, déjà présentée au Merlan et à Châteauvallon, sera reprise au Grand Théâtre de Provence, en ouverture du temps fort. Patrick Léonard, autre cofondateur de la compagnie, présentera pour sa part Patinoire, un solo déjanté sur la recherche de soi.
La dernière création, Cuisine et confessions, viendra quant à elle interroger la mémoire de nos sens. « C’est probablement la première de nos productions où le titre définit le spectacle ! », s’amuse Sébastien, éternel enthousiaste. « La corrélation entre la cuisine et le cirque nous semblait évidente. Ce sont deux formes d’art qui se font pour les autres, qui se pratiquent avec beaucoup de technique mais qui peuvent se faire sans. Mais ce qui les rapproche surtout, c’est que, fut un temps, elles n’étaient transmises que par l’humain. Avant qu’il y ait des écoles de cuisine, de cirque, c’était la grand-mère qui transmettait la recette à la mère, tout comme le cirque s’apprenait dans les familles de cirque. »
Maryline Laurin
Temps Fort Cirque : du 25/11 au 6/12.
Rens. : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net
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Traces : du 25 au 29/11 au Grand Théâtre de Provence (380 avenue Max Juvénal, Aix-en-Provence)
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Cuisine et confessions : du 2 au 6/12 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er)
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Patinoire : du 4 au 6/12 au Théâtre du Jeu de Paume (17-21 rue de l’Opéra, Aix-en-Provence)
Pour en savoir plus : 7doigts.com/fr
Traces : du 25 au 29/11 au Grand Théâtre de Provence (380 avenue Max Juvénal, Aix-en-Provence)
Cuisine et confessions : du 2 au 6/12 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er)
Patinoire : du 4 au 6/12 au Théâtre du Jeu de Paume (17-21 rue de l’Opéra, Aix-en-Provence)
L’Interview
Sébastien Soldevila
Sébastien Soldevila est l’un des fondateurs de la compagnie Les 7 doigts de la main. Ex acrobate, danseur et roi du diabolo, numéro pour lequel il a reçu de nombreux prix, il se consacre désormais à la mise en scène. Rencontre.
Pouvez-vous définir le collectif ?
Nous sommes les enfants du Soleil. Tous les sept, nous avons créé le collectif pour faire de la mise en scène. En fait, quand tu travailles au Cirque du Soleil, tu n’es qu’un interprète, il n’y a pas vraiment de liberté artistique.
Au bout d’un certain temps nous avons eu envie premièrement de créer des spectacles, mais également de dépasser l’esthétique du Cirque du Soleil, ce monde fantasmagorique avec des super-héros aux costumes très flamboyants. Ils ont fait un excellent boulot, mais nous voulions un cirque plus naturel, plus contemporain, plus humain. Pour Loft, notre première création, nous étions dans un appartement en pyjama avec des « vrais gens ».
Pouvez-vous définir brièvement les trois spectacles du Temps Fort Cirque ?
Dans Traces, il s’agissait de se poser une question simple : que laisserons-nous derrière nous pour les générations futures si jamais il y avait un cataclysme, ou quelque chose d’assez grave qui se passait sur Terre ? Des vivres, de la culture, des tableaux, des livres… ?
Patinoire est une porte d’entrée dans le cerveau complètement déjanté de Patrick Léonard (NDLR : interprète de ce solo et autre cofondateur de la compagnie), qui est à la recherche de lui-même.
Cuisine et confessions vient quant à lui interroger la mémoire de nos sens. C’est probablement la première de nos productions où le titre définit le spectacle, puisque ça parle de cuisine et qu’on y fait des confessions !
Pourquoi une coproduction avec le Grand Théâtre de Provence et le CNND de Châteauvallon ?
Les deux structures suivent notre travail depuis presque dix ans, nous collaborons avec eux à plusieurs niveaux et là, ils prennent le risque avec nous, c’est très intéressant pour notre compagnie. Cela permet à notre création de ne pas attendre que les programmateurs l’aient vue pour tourner.
Vous aviez dit que la France est le plus grand bassin mondial de cirque contemporain. Vous le pensez toujours ?
Il doit y avoir 250 ,300 compagnies de cirque en France. Le cirque est entré dans la culture des gens.
Au Canada, il y a une quinzaine de petites compagnies de cirque qui commencent à émerger, grâce au travail des écoles de cirque.
Ici, c’est dramatique, il n’y a pas d’argent pour la culture… Et encore, le Québec est dans une situation favorable par rapport au reste du Canada. Le gouvernement Harper a détruit la culture en quelques années, en diminuant les subventions pour les compagnies de danse, de théâtre. Il a annulé les subventions à l’exportation, les plus importantes pour avoir le contrôle sur ce qui sortait du pays. Il a également bloqué les subventions de certains groupes au prétexte qu’on n’allait pas aider « des spectacles qui crachent sur le Canada. » On commence comme ça et on finit où ? La culture, c’est la culture, et qu’ils soient contre le gouvernement ou pas, les gens doivent s’exprimer.
Nous avons été les premiers au Canada à obtenir des subventions spécifiques « cirque » sans rentrer dans la catégorie Théâtre ou Danse. Cela n’est pas énorme, mais se battre est important, ne serait-ce que pour les autres petites compagnies qui vont suivre.
Présenter trois de vos spectacles aux formes et aux capacités de plateau différentes dans trois lieux distincts, est-ce une façon de souligner une idée de répertoire ?
Non. Le souci de renouvellement se fait à chaque création. Nous ne faisons pas partie de ces metteurs en scène qui ont une manière, une ligne, nous sommes très éclectiques et nous changeons à chaque création. Et il y a une différence fondamentale avec les compagnies de cirque française, qui font souvent appels à des metteurs en scène de théâtre.
Nous pouvons avoir des spectacles à l’infini qui tournent en même temps. L’intérêt pour nous, c’est de créer.
Le Cirque du Soleil est une énorme machine. A l’opposé, vous avez voulu fonder un cirque à taille humaine. Après dix ans d’existence, treize spectacles et un tel succès, arrivez-vous à conserver cet état d’esprit ?
Ce n’est pas à un cirque à taille humaine que nous voulions, mais des spectacles qui soient plus humains, qui montrent des humains.
Mais c’est une bonne question. En fait, notre vrai challenge est le suivi artistique des spectacles pendant les tournées. Jusqu’à présent, nous y arrivons, enfin… j’espère. L’avantage d être plusieurs metteurs en scène dans la compagnie nous permet de faire plusieurs choses en même temps, de poursuivre plusieurs projets.
Pourquoi la cuisine comme sujet de votre dernière création ?
En fait, il ne s’agit pas de parler de cuisine, mais d’aborder la cuisine comme centre névralgique de la maison, là où se créent les souvenirs, ou se crée la relation à l’autre, à la nourriture. Nous avons tous des souvenirs de bouffe liés à la famille, aux amis, à l’amour…
Nous avons passé beaucoup de temps avec les artistes, à faire des interviews, à manger ensemble pour parler de leur passé. Ce spectacle est une excuse pour parler d’eux, pour converser avec le public et le faire réagir.
Donc, nous avons une cuisine, nous préparons des plats en jonglant, en dansant, parfois une omelette, parfois un pain aux bananes .Toutes ces recettes ont une raison spécifique, elles sont liées aux artistes, à leurs souvenirs. Par exemple, Melvin est issu d’une banlieue très pauvre des Etats-Unis, près de Ferguson, Saint Louis… Il avait six demi-frères et sœurs qui allaient tous voir leurs pères respectifs le dimanche matin, tandis que Melvin, qui n’a jamais connu le sien, mangeait seul avec sa mère, qui lui faisait toujours une omelette.
Tout ça pour dire que le titre n’est pas une publicité mensongère !
Un élément nous semblait vital : la corrélation entre la cuisine et le cirque, qui est flagrante lorsqu’on y réfléchit un peu. Ce sont deux arts qui se font pour les autres, avec beaucoup de technique… Mais on peut faire aussi sans. Et, surtout, ces deux formes d’art n’étaient transmises jadis qu’à l’oral, avant qu’apparaissent les écoles de cuisines, de cirque. C’était la grand-mère qui transmettait la recette et il y avait les familles de cirque, ça se passait de génération en génération.
Vous avez fait appel à Sidney Iking Bateman et Melvin Diggs, récemment diplômés de l’Ecole nationale de Cirque de Montréal. Est-ce un vrai choix pour vous de soutenir de jeune artistes ?
Nous avons toujours fait cela. Le niveau de l’Ecole nationale de Cirque de Montréal est extrêmement élevé, c’est sûrement une des meilleures au monde. Nous sommes très proches de cette école : j’y ai moi-même enseigné par le passé, Shana y a fait une chorégraphie… Et nous avons quatre artistes issus de la dernière promotion pour ce spectacle.
N’était-ce pas risqué pour une nouvelle création ? Ne valait-il pas mieux faire appel à des artistes ayant déjà fait leurs preuves ?
Nous nous sommes posé la question : nous ne voulions pas prendre que des jeunes, mais aussi des artistes avec plus d’expérience, des gens qui ont déjà travaillé avec nous aussi. La jeunesse apporte de l’énergie, du renouveau mais aussi des faiblesses, car rien ne peut remplacer l’expérience, si ce n’est le temps.
Dans le cas de Melvin et Sidney, c’est un peu différent : ils ont un passé, un vécu, une approche de la vie. Le cirque a été salutaire pour eux, ça les a empêchés de finir dans des gangs de rue.
Vous connaissez un succès international et avez reçu de nombreux prix, Shana Carroll a chorégraphié et mis en scène le Spectacle Iris du Cirque du Soleil et la performance du même cirque lors des Oscars 2012… Qu’est ce qui pourrait encore vous exciter, vous mettre au défi ?
Pour ma part, j’ai participé à la cérémonie des Jeux Olympiques de Sotchi, et c’était vraiment un rêve pour moi. Après ça, c’est dur d’aller plus haut car ce fut quand même énorme.
Je ne sais pas… Se demander si on aura toujours quelque chose à raconter dans dix ans…
Si, il y a un rêve qu’on veut réaliser avec ma femme : faire une comédie musicale ! Mais ça risque de prendre des années… Nous avons une collection de films là-dessus…
Peut-être un jour !
Propos recueillis par Maryline Laurin