Tes premiers mois de Christophe Bataillon

Identité Remarquable | Christophe Bataillon

Les deux font le père

 

Installé à Marseille depuis à peine un an, le dessinateur Christophe Bataillon livre avec Tes premiers mois un témoignage touchant sur sa relation avec son tout jeune fils, qui paraît ces jours-ci aux éditions Delcourt. Une sortie accompagnée d’une exposition de ses dessins jusqu’à fin décembre à L’Écomotive.

 

 

 

Né à Paris à la toute fin des années 1970 d’une mère qui « a fui l’Égypte pour Paris et a trouvé un bidasse en coopération sur une plage au Liban alors qu’elle était en vacances », Christophe Bataillon avoue avoir été marqué par un livre. Le futur dessinateur a reçu de son frère Vous jurez de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité (sur votre classe de sixième) ? de l’illustratrice Nadja — coécrit avec son fils de douze ans — avant l’été de sa propre rentrée en sixième, ce qui lui a donné envie de raconter des histoires en dessin.

Après s’être essayé au théâtre, il se consacre à la bande dessinée, un art pas si éloigné que ça de la scène. « Je fais du théâtre tout seul depuis vingt ans, avec un casting toujours juste, sans ego des comédiens et sans besoin de répétitions. » Et ne parlons même pas des jeux de rôles : « Je suis littéralement dévoré par cette passion ! Très proche du théâtre d’improvisation, le jeu de rôle est une formidable école de scénario, nombre d’auteurs assumant l’influence de ce média sur leur travail comme Jodorowsky, Sfar… et bien d’autres ».

Diplômé des Beaux-Arts d’Angoulême en 2003 et auteur de plusieurs ouvrages pour la jeunesse, dont une trilogie pour apprendre comment dessiner et raconter une histoire en images, initiée par Un rond, deux points aux éditions Gallimard Jeunesse en 2017, Christophe Bataillon vient de faire paraître son premier ouvrage plus particulièrement destiné aux adultes. Tes premiers mois raconte, comme son titre l’indique, le début de la vie de son fils, une période marquée également par la séparation d’avec la mère, seulement quelques mois après la naissance.

Suite à ces deux événements, Christophe Bataillon se lance dans une série de dessins qu’il poste sur les réseaux sociaux. « J’ai réalisé cette série à un moment où je ne tenais plus droit, ces dessins m’ont donné la force de tenir debout, comme je le dis dans le livre. Certains dessins ont aussi servi à cacher ma peine. Mais la plupart m’ont forcé à être attentif au présent surtout, à la poésie du quotidien. » Au bout de quelques années, il décide de tirer de cette série de dessins un livre, le fameux Tes premiers mois, qui paraît donc ces jours-ci aux éditions Delcourt.

« Le processus d’écriture de Tes premiers mois fut particulier. J’avais à disposition une masse de dessins faits à un moment où je n’allais pas fort, et j’avais l’intuition qu’il ne manquait que quelques phrases pour expliciter tout ça. (…) Quand j’écris des livres, je n’ai pas à proprement parler de “méthode d’écriture”, chaque projet est singulier, car je me méfie énormément des recettes toutes faites. »

À la fois catharsis de la rupture et déclaration d’amour à son fils, cette chronique dessinée et très sensible des premiers mois de la relation d’un père, seul avec son tout jeune fils, commence par ces mots touchants : « Tout ne s’est pas passé exactement comme prévu. Rien ne se passe jamais exactement comme prévu. » Il y alterne dessins d’observation, assez réalistes, et scènes plus humoristiques mais toujours tendres, comme celle attachante, où père et fils se tapent mutuellement dans le dos.

Apaisé et aujourd’hui installé à Marseille, où la mère de son fils l’a suivi, il avoue être « en relation d’hyper-parentalité une semaine sur deux. Je considère ma relation avec mon fils comme extraordinaire évidemment, moi, tuteur, et lui, me réapprenant chaque jour à m’émerveiller des petits riens de la vie. »

S’il avait pensé mettre un temps sa carrière de côté pour se consacrer « à faire pousser ce petit être », ça ne s’est absolument pas passé de la sorte, sa vie professionnelle avançant presque malgré lui : « C’est juste une somme de travail immense en plus à assumer au quotidien tout en continuant à dessiner. »

Son prochain ouvrage contera d’ailleurs, dans la même veine, l’histoire d’un père et de son fils passionnés par les trains qui viennent habiter en face d’une gare. « J’habite dans le quartier Saint-Charles » nous précise-t-il, pour ceux qui n’auraient pas compris la portée autobiographique de ce récit à venir… Un ouvrage qui s’inscrit dans un projet plus large. C’est lorsque son fils lui a demandé : « Papa, pourquoi avec maman vous n’êtes pas complets ? » que l’auteur s’est rendu compte que le mot « complet » était pour l’enfant synonyme de famille nucléaire. « Cette question m’a taraudé et j’ai fini par en déduire qu’elle était le résultat des différentes lectures qu’on pouvait lui faire, sa mère et moi. Il n’y a que très peu d’exemples de livre jeunesse où le modèle n’est pas celui de la famille nucléaire. Alors j’ai décidé de consacrer les prochaines années à réaliser des livres pour ces enfants qui ont deux doudous, un chez chaque parent. » Vaste programme !

 

JP Soares