The Hot 8 Brass Band

The Hot 8 Brass Band

L’interview
The Hot 8 Brass Band

Fameuse fanfare de la Nouvelle-Orléans (NOLA pour les intimes) dévoilée à l’international principalement via la série Treme, The Hot 8 Brass Band nous a apporté une bonne dose de moiteur tropicale en début d’été dernier, à Aix d’abord, invitée par Comparses et Sons, puis au Panier, de façon plus impromptue. Rencontre avec Bennie « Big Peter » Pete, en charge du soubassophone et porte-parole d’une culture traditionnelle en mouvement.

 

On a la sensation que vous êtes passés d’un style très hip-hop à une orientation plus traditionnelle. Est-ce vrai ?
En fait, on s’est connus très jeunes, à l’école. Et tout le truc traditionnel, ils ne l’enseignent pas à l’école. C’est notre culture. Beaucoup de gens n’en ont rien à faire. Ils pensent juste à danser dans la rue les week-ends. Toute cette histoire qui remonte à l’esclavage, ils s’en foutent. Pendant les street parades, ils te suivent en se disant : « Oh here comes the disco… » Nous, en tant que musiciens, plus on joue, plus on rencontre de gens de toutes générations qui nous demandent de jouer telle ou telle chanson du répertoire traditionnel de NOLA. Beaucoup de vieux musiciens se sont ainsi intéressés à nous. Et à partir du moment où l’on a réalisé ce qu’ils racontaient (les meurtres, les blues), on s’en est nourris.

C’est une tradition orale qui ne peut pas s’enseigner dans les écoles de musique…
Oui, c’est du bouche-à-oreille. De nos jours, certains essayent d’enseigner la musique de NOLA dans les écoles, du moins dans certaines. Cela dit, c’est principalement du jazz «straight». Et ces gens-là nous regardent de haut, du moins leurs élèves, parce qu’ils vont à l’école, qu’ils ont toutes ces techniques… mais ils ne peuvent faire ce que nous faisons. Pour eux, c’est trop simple ! Ils jouent plein de schémas, de gammes, mais ce n’est pas soulful. Ils peuvent même écrire ce que l’on joue, mais ils sont loin de pouvoir l’interpréter. Parfois, ce que l’on joue n’est même pas musicalement correct, parce qu’on n’a pas vraiment appris la musique de façon scolaire. On vient de la rue, nos instruments ont été empruntés, et parfois ils sonnaient faux. Pour nous, commencer à jouer dans la rue, ça a été une bénédiction : c’est notre école. Alors bien sûr, maintenant on nous impose des horaires de passage sur scène, des cadres… et nous essayons de nous opposer à cela parce que nos racines nous imposent de jouer pour tout le monde, où que ce soit. Personnellement, j’ai grandi dans le quartier français de NOLA et dès que j’ai fait de la musique, je l’ai jouée pour des personnes venant du monde entier… On n’a pas passé d’audition ni rien : on a appris à la dure ! La perte de cet aspect dans le développement de notre carrière nous préoccupe.

Lors de vos tournées internationales, rencontrez-vous d’autres fanfares ?
Oui, bien sûr, on tape de méchants bœufs avec des fanfares du monde entier. Après, on rencontre aussi des musiciens qui sortent des écoles, désireux de jouer avec nous, mais qui n’y arrivent pas parce qu’ils sont trop académiques. On a un aussi projet qui consisterait à enregistrer avec d’autres fanfares, mais ce n’est pas évident. On voudrait le faire pendant une parade, afin de conserver l’énergie… D’être ensemble, tout simplement, et c’est peut-être ça le plus difficile.

En France, beaucoup de fanfares admirent la Hot 8 BB et essaient de refaire ce que vous faites… mais n’y arrivent pas.
D’une certaine façon, tout ça remonte à l’esclavage. Les esclaves n’avaient le droit de chanter que les dimanches. Les esclaves pouvaient alors descendre sur Congo Square et se sentir frères et sœurs. Parce que sinon, ils appartenaient à des maîtres différents. Alors ils se disaient que le dimanche, ils pouvaient se rassembler, chanter, danser, faire beaucoup de call and response, bref, exprimer ce qu’ils ressentaient. Aussi, dès ses débuts, notre musique a puisé dans notre vécu. C’est plus que de la musique, ça qui représente ce que nous sommes en tant que peuple. C’est toujours là aujourd’hui et les gens ne le réalisent pas. Du lundi au samedi, nos ancêtres étaient réduits en esclavage. Maintenant, de nos jours, du lundi au samedi, c’est l’esclavage moderne pour beaucoup de descendants qui ne s’en rendent même pas compte : tant de boulots de merde pour aussi peu d’argent… Alors le dimanche, c’est la même vibration.

Vous composez beaucoup de chansons originales…
Nos compositions sont inspirées par notre vie quotidienne. L’un de nous peut venir avec une proposition musicale, une structure basique mais le but reste que chacun de nous se sente libre : «Voilà ce que j’entends, voilà ce que je ressens et voilà comment je te le rends. » Cela dépend beaucoup de l’intensité du moment : tu peux me parler de ta mère, d’un membre de la Hot 8 qui est décédé, me proposer un tempo lent et alors je peux te suivre… Et quand c’est un morceau plus festif, plus up tempo, alors tu peux faire ce que tu veux. Tout le monde peut abandonner une part de son âme dans la musique. Parfois, bien sûr, on fait des jams en partant de ce que l’on ressent ou en improvisant à partir de thèmes originaux. Je peux lancer une ligne de basse au soubassophone, les percus entrent, puis le trombone, et enfin la trompette esquisse une mélodie. Les paroles viennent après, si on en trouve… mais la plupart du temps, on fonctionne avec le call and response. L’improvisation est permanente, jusque dans les concerts parce qu’on a besoin du feed-back des gens. Pour nous, une chanson n’est jamais finie : il faut toujours voir comment le public la reçoit. Après, on peut y remettre un peu de structure, remettre ça en chantier. On a la liberté de pouvoir faire ça pendant les parades : quand on joue dans la rue en défilant et que les gens chantent et dansent avec nous, on a la liberté de pouvoir faire ce que l’on veut. Les gens qui dansent autour de nous nous inspirent. C’est une sorte de contrat.

On peut voir ça dans la série Treme. On sent aussi votre douleur lorsque l’un de vos membres se fait tuer. Mais vous jouez aussi pour des mobilisations en faveur des sinistrés de Katrina…
Oui, car nous avons pris conscience du fait que notre musique peut rassembler les gens. C’est politique, dans un certain sens. On est souvent sollicités en période électorale par les candidats, les mêmes qui voudraient limiter les parades dans les rues… Parce que lors des parades, les gens sortent des maisons, des magasins, des hôtels, des bars, et se joignent à nous. Alors en même temps, ils se méfient de nous, tous ces politiciens… et nous aussi on se méfie d’eux, de notre côté.

C’est surprenant qu’une fanfare de la Nouvelle-Orléans comme la vôtre ait repris Ghost Town des Specials…
Ce morceau en particulier représente bien ce par quoi nous passons depuis Katrina, jusqu’aux magouilles de nos leaders concernant la reconstruction. C’est fantastique que cette chanson qui a au moins vingt ans nous parle encore. Entre la crise en Angleterre et ce que nous vivons, c’était pour nous le moment parfait. Ils nous ont autorisés à le faire et pour nous, c’était super. Les paroles, la musique, tout cela nous parlait, et ce break magnifique… Notre ville est toujours une ville fantôme. Bien sûr, les quartiers touristiques et d’affaires ont été retapés depuis l’ouragan, mais dans les quartiers populaires, les gens n’arrivent même pas à reconstruire leurs maisons lorsque d’autres spéculent…

La série Treme n’est donc pas que fictionnelle ?
Ils ont effectivement pris en considération des événements réels, ils ont beaucoup tourné et ils ont aussi beaucoup coupé. Ils ont aussi employé beaucoup de musiciens de la ville. Evidemment, ça parle aux gens. Ça nous a permis d’être exposés à grande échelle, de gagner de l’argent… Ils nous ont pris pour la deuxième saison parce que pendant la première, je crois qu’ils se méfiaient un peu de nous. Ils nous ont approchés progressivement et quand ils ont appris le meurtre de notre percussionniste d’alors, ils ont voulu montrer notre réaction et celle des gens qui nous entourent au quotidien. On n’était pas très chauds. J’ai dit aux responsables de demander à la mère de notre ami décédé si elle était d’accord pour qu’on le fasse. Elle voulait que l’on sache ce par quoi elle passait en tant que mère et elle a donné son accord. Comme ça, les gens ont su qui elle est, qui était son fils, et qui nous sommes. En même temps, je me demande si les producteurs de la série ont vraiment compris qui sont tous ces musiciens et tous ces gens de la Nouvelle-Orleans.

Propos recueillis par Laurent Dussutour et Sylvaine Vescio

Rens. www.facebook.com/Hot8BrassBand

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